L'Obs

Ces milliardai­res qui veulent vous faire travailler… moins !

Le Mexicain Carlos Slim et le cofondateu­r de Google, Larry Page, relancent le débat mondial sur la réduction du temps de travail. Avec quelles arrière-pensées ?

- Par Donald Hebert et Louis Morice

Vacanciers, paressez tranquille­ment sur vos serviettes de plage! Cette année, la rentrée sera pleine d’espoir. Un jour, vous travailler­ez peut-être moins. Le débat sur la réduction du temps de travail vient en effet de rejaillir là où on ne l’attendait pas : en Amérique. Avec pour avocats, des princes du capitalism­e : Carlos Slim, l’homme le plus riche du monde, qui prône aujourd’hui la semaine de trois jours, et Larry Page, le PDG de Google! Et dire qu’en France, pays pionnier en la matière, certains rêvent au contraire de faire machine arrière et de déverrouil­ler une bonne fois pour toutes les 35 heures... Ces géants du business marchent-ils dans les pas de Léon Blum et de Martine Aubry? « Les milliardai­res et lesPDGsese­ntent souvent très intelligen­ts, maispeuven­t fairedes sortiesqui méconnaiss­ent totalement la réalité », balaie d’un revers de main Jean Peyrelevad­e, banquier d’affaires chez Aforge Degroof Finance. Lui, comme beaucoup de patrons français, est un fervent défenseur de l’allongemen­t du temps de travail en France, sans compensati­on totale en salaire. Ce serait une manière de faire baisser les coûts et d’améliorer la compétitiv­ité. A court terme, le raisonneme­nt des dirigeants français tient la route. Mais, à plus long terme, si les logiciels remplacent les emplois administra­tifs, l’idée du partage du travail pourrait bien avoir de beaux jours devant elle. Explicatio­ns.

Les quatre jours de repos de Carlos Slim

A la tête d’un congloméra­t d’une quinzaine d’entreprise­s regroupant des activités très diverses (mines, hôtellerie, télécommun­ications, etc.), Carlos Slim, une fortune chiffrée à 60 mil- liards d’euros selon le classement du magazine « Forbes », propose de travailler trois jours par semaine, 11heures par jour. Cherche-t-il à s’attirer des faveurs alors qu’il doit découper en plusieurs parties son groupe de télécommun­ications en situation de

“Les gens vont devoir travailler seulement trois jours par semaine, à raison peut-être de 11 heures par jour.” Carlos Slim, président d’América Móvil

monopole? A moins que l’homme d’affaires y voie une opportunit­é d’optimiser ses moyens de production ou de désengorge­r les transports? Rien de tout cela officielle­ment. « Avec trois jours de travail par semaine, nous aurions plus de temps pour nous détendre, pour la qualité de vie. Avoir quatre joursde repos serait très important pour générerde nouvelles activités de divertisse­ment et d’a utresmaniè­res de s’occuper », explique le magnat des télécoms. Et ainsi consommer

davantage de contenus distribués par son groupe. Une nouvelle forme de fordisme appliquée au numérique. Mais attention! Il y a une contrepart­ie: Carlos Slim propose de travailler jusqu’à 70 ou 75 ans, afin de s’adapter à l’allongemen­t de l’espérance de vie. Idéal pour tirer profit des employés expériment­és. Dans l’une de ses entreprise­s, Telmex, ceux qui atteignent l’âge de la retraite tôt parce qu’ils ont commencé jeunes, sont déjà invités à ne travailler que quatre jours sur cinq au même salaire. Retarder l’âge de la retraite éviterait surtout de renforcer le système de protection sociale mexicain, dont le budget, qui n’a jamais dépassé plus de 12% du PIB, est le plus faible des pays de l’OCDE.

Larry Page favorable au partage

Pour le PDG de Google, le moteur de recherche tout-puissant, pas besoin de produire toujours plus. « Si vous réfléchiss­ez vraiment à ce dont vous avez besoin pour être heureux – votre foyer, votre sécurité, saisir les bonnes opportunit­és pour vos enfants, les anthropolo­gues ont identifié tout cela –, il est moinsdiffi­ci leaujourd’hui deseprocur­er ceschoses. La quantité de ressources, de travail, pour obtenir tout cela est vraimentré­duite. Doncl’i déequ’il faille travailler frénétique­ment pour satisfaire ces besoins n’est tout simplement pas vraie », a-t-il affirmé lors d’une conférence. Surtout si grâce aux progrès des logiciels, des réseaux, des robots et de l’intelligen­ce artificiel­le, de plus en plus d’emplois sont remplacés par des machines. Ce sujet, Larry Page l’a évoqué avec un autre millionnai­re, le Britanniqu­e Richard Branson,

“En temps de chômage de masse, on peut réduire le temps de travail.” Larry Page, PDG et cofondateu­r de Google

fondateur de Virgin. Rendu inquiet par le chômage des jeunes au royaumeuni, ce dernier milite pour que les entreprise­s emploient deux personnes à mi-temps plutôt qu’une seule à temps plein. Partageons le travail pour préparer l’avenir.

Dans la Silicon Valley et les groupes technologi­ques en général, les patrons ont une autre obsession : comment doper la créativité de leurs salariés pour conserver leur avance? Dès 2004, Google a mis en oeuvre un système demanageme­nt précurseur : les ingénieurs peuvent consacrer 20% de leur temps de travail à des projets personnels. Une manière de garder les cerveaux les plus brillants, ainsi que leurs innovation­s : intelligen­ce artificiel­le, robotisati­on… et à ce rythme, il devrait y avoir de plus en plus de temps libre! Mais Google n’a pourtant pas encore l’intention de payer ses salariés à ne rien faire. « Jenepense pasque, dans le court terme, lebesoinde-main-d’oeuvre disparaiss­e, a d’ailleurs précisé l’autre fondateur de Google, Sergueï Brin, corrigeant le tir au cours de la même conférence. Ce besoin se déplace d’un endroit à l’autre, mais les gens veulent toujours plus de choses, plus de divertisse­ments, plus de créativité. » Les 35 heures ne sont donc pas pour tout de suite dans la Silicon Valley. D’ailleurs, chez Google, la règle des 20% est devenue progressiv­ement la règle des 120%, d’après des sources internes : les salariés peuvent toujours porter des projets personnels, mais en faisant des heures supplément­aires. Une inflexion prise après… le retour de Larry Page aux commandes de l’empire en 2011! Réduire le travail oui, mais peut-être pas tout de suite…

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