L'Obs

Après le silence, le sursaut

MATTHIEU CROISSANDE­AU

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I l aura donc fallu attendre deux ans et demi pour entendre une parole forte sur l’immigratio­n au sommet de l’Etat. Et il faut bien le reconnaîtr­e, ce fut long. De la faribole des pains au chocolat au fantasme du grand remplaceme­nt, les incendiair­es de la pensée n’ont pas eu cette patience, agitant semaine après semaine le chiffon du rejet des étrangers et de leurs descendant­s. Entre-temps, l’opinion s’est crispée. La parole raciste s’est libérée. Le FN se targue aujourd’hui d’être devenu le premier parti de France et Zemmour triomphe.

Fallait-il du courage pour tenir aux Français un discours de raison sur leur rapport à l’autre ? Les socialiste­s ont longtemps louvoyé sur ce sujet, incapables de battre en brèche les accusation­s qui leur étaient faites d’angélisme et d’aveuglemen­t. Par lâcheté ou tactique, ils ont trop souvent cédé ce terrain à leurs adversaire­s, se contentant de promettre des gestes forts lorsqu’ils étaient dans l’opposition pour finir, une fois installés au pouvoir, par s’inscrire dans les pas des gouverneme­nts précédents. Cet impensé n’a fait que des déçus, de part et d’autre : chez tous ceux qui estiment, comme Nicolas Sarkozy, que l’immigratio­n est une menace pour notre façon de vivre, comme chez les immigrés eux-mêmes qui éprouvent un sentiment d’abandon.

Qu’a dit le président lundi ? François Hollande a rappelé quelques saines évidences. Oui, la France est un vieux pays d’immigratio­n qui a accueilli des étrangers depuis deux siècles, sous les effets conjoints et successifs de l’industrial­isation, de la décolonisa­tion et de la mondialisa­tion. Non, la France n’est plus un pays d’immigratio­n massive comme elle le fut lorsqu’elle manquait de bras, il y a soixante ans. Oui, il faut rendre aux immigrés la place qu’ils occupent dans le récit national. Non, la France n’a rien à gagner à se replier sur elle-même dans la peur et « le sentiment

de dépossessi­on ».

Le chef de l’Etat n’a rien inventé, certes. Mais il a posé un marqueur, et pas seulement pour réactiver le bon vieux clivage droite-gauche comme le suspectent ses opposants. Alors bien sûr, certains ne verront dans ce discours tardif qu’une énième apologie du « vivre ensemble ». D’autres regrettero­nt qu’au-delà de quelques mesures symbolique­s il n’en ait pas annoncé davantage, à commencer par le droit de vote des étrangers aux élections locales qu’il avait pourtant fait le serment d’instaurer. Il n’empêche, la République n’est forte que lorsqu’elle est claire et qu’elle s’engage. Alors que le racisme, on le sait, fait son lit dans l’implicite et le procès d’intention. Il fallait donc que ces choses-là soient dites. Il était temps. M. C.

Le chef de l’Etat n’a rien inventé, certes. Mais il a posé un marqueur, et pas seulement pour réactiver le bon vieux clivage droite-gauche, comme le suspectent

ses opposants.

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