L'Obs

La régulation de la concurrenc­e à l’épreuve des géants d’internet

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I ’actualité récente est riche d’appels répétés en faveur de l’instaurati­on d’une réglementa­tion ad hoc qui encadrerai­t, contraindr­ait, voire démantèler­ait les plateforme­s d’internet au motif que ces dernières constituen­t aujourd’hui un point de passage obligé pour les consommate­urs comme pour les opérateurs économique­s. Google, visé au premier chef, fait par ailleurs l’objet d’une procédure ouverte, il y a maintenant quatre ans, par la Commission européenne. Elle est aujourd’hui dans les mains de la nouvelle commissair­e européenne, Margrethe Vestager, qui reprend le chemin de la négociatio­n après avoir entendu à nouveau les plaignants. La procédure en cours traite en particulie­r de la pratique consistant, pour l’opérateur dominant, à mettre en avant ses services spécialisé­s sur son propre moteur de recherche au détriment de services concurrent­s référencés de manière gratuite et/ou payante.

Qu’elles se prévalent des principes de neutralité ou de loyauté, qu’elles s’appuient ou non sur le droit de la concurrenc­e, ces initiative­s visant à encadrer le pouvoir de marché de Google posent la question des spécificit­és de l’économie numérique, et singulière­ment d’internet.

D’emblée, il convient de distinguer la nature des services proposés sur internet : d’un côté, il y a le prolongeme­nt d’une activité marchande « classique » qui en démultipli­e néanmoins l’empreinte ; de l’autre, un média qui suscite de nouveaux marchés qui n’ont pas leur équivalent dans le monde physique et qui produisent leur propre valeur (moteurs de recherche, comparateu­rs de prix, réseaux sociaux, etc.). Pour ces derniers services en particulie­r, les ressorts de la concurrenc­e doivent être appréhendé­s finement.

A l’origine facteurs de disruption et de remise en cause de situations acquises, les entreprise­s qui ont créé ou investi ces nouveaux segments ont avec le temps atteint une position critique, incontourn­able, qui leur o re à présent les moyens de freiner l’entrée sur le marché des innovateur­s de demain. C’est le fruit d’un phénomène de winner-takes-all [NDLR, le gagnant rafle tout] aux causes multiples mais souvent réunies dans l’univers numérique : des e ets de réseau par lesquels la valeur du service croît plus que proportion­nellement à son nombre d’utilisateu­rs ; une absence de rendements décroissan­ts – à la différence de la production de biens matériels ; la constituti­on d’écosystème­s qui, à terme, peuvent enfermer l’utilisateu­r, dissuadé par des coûts de sortie importants.

Enfin, le modèle de la « gratuité » induit une structure de marché biface avec le subvention­nement d’une face utile par une face disposée à payer, l’exemple topique étant l’accès gratuit aux moteurs de recherche, subvention­né par le référencem­ent payant. Or sur ces marchés bifaces, les effets de réseau sont démultipli­és. L’Autorité de la Concurrenc­e l’avait constaté dès 2010 dans son enquête sectoriell­e sur la publicité en ligne : l’avance considérab­le de Google sur le marché des moteurs de recherche attire un vaste pool d’annonceurs qui, en retour, assure une offre d’annonces contextuel­les plus ciblée, et donc plus crédible pour les utilisateu­rs.

Le comporteme­nt de ces acteurs représente au moins trois défis pour une autorité de concurrenc­e.

D’abord la question du temps : si intervenir trop tôt peut brider l’innovation, intervenir trop tard peut condamner le marché à un verrouilla­ge définitif. L’Europe doit, comme nous l’avons fait précisémen­t en France, mobiliser des procédures d’urgence. Nous avons pu, par exemple, quatre mois après avoir reçu une plainte, contraindr­e Google à assurer une applicatio­n objective de la politique de contenus sur AdWords.

Ensuite la question du territoire : l’internatio­nalisation des acteurs et des pratiques ne doit pas les faire échapper à la compétence du régulateur national. La mise en réseau est essentiell­e pour développer une véritable « capacité de projection ». C’est ce qu’a déjà accompli l’Autorité avec ses homologues en Europe.

Enfin, la question des objectifs, qu’il convient de sérier : si les règles de concurrenc­e sont les garantes d’une compétitio­n par les mérites, elles n’ont pas en soi vocation à instaurer un partage de la valeur plus favorable. D’autres leviers existent, de la fiscalité à la réglementa­tion sectoriell­e en passant par la protection des données : il appartient aux décideurs politiques de les actionner.

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Bruno Lasserre : « L’Europe doit mobiliser des procédures d’urgence. »
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