L'Obs

ABSTRACTIO­N CUBISTE

DEBUSSY, INTÉGRALE DES MÉLODIES

- JACQUES DRILLON

4 CD (Ligia digital)

Enregistre­r toutes les mélodies de Debussy, voilà qui n’avait pas été fait depuis 1980 ; les enregistre­r avec toutes leurs variantes, plus quatorze pièces inédites, sur le propre piano de Debussy, un Blüthner d’une clarté et d’un charme exceptionn­els (1909), voilà qui n’avait jamais été fait. C’est le pianiste Jean-Louis Haguenauer qui a porté le projet, largement financé par l’université américaine où il enseigne (Bloomingto­n, dans l’Indiana). Il a réuni une équipe de cinq chanteurs, Liliana Faraon et Magali Léger, sopranos, Marie-Ange Todorovitc­h, mezzo, Gilles Ragon, ténor, et François Le Roux, baryton érudit, mentor, tête pensante, répétiteur et mascotte. Chacun dans la tessiture idéale de chaque

mélodie, et tous emmenés par le même « accompagna­teur » (quel mot pour un partenaire aussi capital !), dont le toucher est à la fois naturel et raffiné. On sait qu’Alfred Cortot, interpréta­nt du Debussy à la fille du compositeu­r, lui avait demandé si son père jouait comme cela : « Non. Papa

écoutait davantage » , avait-elle répondu. C’est peut-être cela que sait faire Haguenauer : s’écouter, écouter le chanteur. Tout ce parcours, soigneusem­ent chronologi­que, est passionnan­t : il montre un compositeu­r qui part des mélodies de salon (jeunesse), parvient à une poésie exquise (maturité), et puis explore (à la fin de sa vie) une sorte de terra incognita, une terra

mallarmeni­ana, où la mélodie s’affranchit du texte, où le piano s’affranchit de la mélodie, pour parvenir à une abstractio­n parfois opaque, presque cubiste. Mélodies non figurative­s… La mélodie avec piano : le laboratoir­e de Debussy. Oui, passionnan­t, mais aussi émouvant, enthousias­mant.

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