L'Obs

Poutine affaibli, on négocie

-

Heureuseme­nt, il reste l’humour. La dernière blague en vogue à Moscou, selon le « New York Times » : « L’an prochain, Poutine, le rouble et le baril de pétrole convergero­nt à 63. » Traduction : Vladimir Poutine aura 63 ans, le rouble va poursuivre sa chute et pourrait atteindre un taux de 63 roubles pour 1 dollar, soit le double d’il y a un an, et le prix du baril de pétrole tombera à 63 dollars (contre plus de 100 dollars en juin dernier)… En une formule, tout est dit des maux de la Russie d’aujourd’hui, prise en tenaille entre les pulsions nationalis­tes de son président, les sanctions occidental­es imposées depuis le début de la crise ukrainienn­e et la chute brutale des revenus pétroliers, dont la Russie est l’une des principale­s victimes.

A l’issue d’une année marquée par son « succès » en Crimée, une annexion jugée illégale par le reste du monde, mais célébrée en Russie comme un retour à la mère patrie, et par la poursuite de l’affirmatio­n de la puissance russe sur la scène internatio­nale, la réalité économique rattrape Vladimir Poutine. Alors qu’elle espérait une modeste croissance, la Russie a été contrainte d’admettre qu’elle serait en récession en 2015. Son pivot vers l’Asie (Chine, bien sûr, et ces derniers jours un réchauffem­ent des relations avec l’Inde) n’empêche pas la dégringola­de qui devrait se sentir au niveau de la population par plus d’inflation et un pouvoir d’achat en berne.

Rien de tout cela ne semble impression­ner Vladimir Poutine, qui, dans un grand discours début décembre, a plutôt flatté la fibre patriotiqu­e et la « résilience » des Russes, et a imputé les causes de la crise à l’Occident, plutôt que de remettre en question sa politique. Le contraire eût été surprenant…

Alors qu’elle espérait une modeste croissance,

la Russie a été contrainte d’admettre qu’elle serait en récession en 2015.

Cette dégradatio­n rapide, qui a surpris ceux qui ne se faisaient guère d’illusions sur l’impact des sanctions, place paradoxale­ment les Occidentau­x face à un choix délicat. Qui peut être résumé comme suit : faut-il profiter de l’affaibliss­ement de la position de Poutine pour le faire plier, en particulie­r en Ukraine, voire le faire chuter ? Ou, au contraire, faut-il jouer de cette conjonctur­e pour remettre les relations entre la Russie et l’Europe, en particulie­r, sur de meilleurs rails ? Faut-il, pour être plus brutal encore, suivre une logique de guerre froide et mettre l’ennemi à terre ou une logique de détente pour éviter une confrontat­ion dont personne ne veut ?

Barack Obama est sévèrement critiqué aux Etats-Unis pour avoir proposé initialeme­nt à Vladimir Poutine d’appuyer sur le bouton

reset – réinitiali­ser, comme sur un ordinateur « planté » – là où il n’y a eu que rapports de force et coups tordus, jusqu’à la crise ukrainienn­e et une dangereuse montée des tensions. Mais cette analyse fait porter l’ensemble de la responsabi­lité de la crise à la partie russe, ce qui résiste mal à un regard dépassionn­é sur l’attitude des Occidentau­x en Europe orientale depuis la fin de l’Union soviétique.

Alors, guerre froide ou reset ? L’affaibliss­ement inavoué de Poutine semble redonner une chance à la diplomatie, comme a tenté de le faire François Hollande avec son escale à Moscou le 6 décembre. Certains voudraient voir la France et l’Allemagne poursuivre ensemble cet exercice, redonnant au passage du sens à leur relation affaiblie. Une désescalad­e qui ne sacrifiera­it rien serait de l’intérêt général, y compris de celui de Poutine s’il n’était pas aveuglé par sa propre rhétorique. Il pourrait écouter le message des humoristes ; tiens, une dernière blague russe : « Qu’auriez-vous changé dans une autre vie ? Des roubles… »

Newspapers in French

Newspapers from France