L'Obs

Me suivre à la trace, un jeu d’enfant

A chaque étape de ma journée, je fournis, sans en avoir toujours conscience, des informatio­ns sur ma vie très précieuses au géant numérique américain

- BORIS MANENTI

Il est 7h30 et l’alarme de mon téléphone sonne. C’est l’heure de se lever. Je saisis mon appareil pour stopper le réveil et en profite pour actualiser mon fil Facebook. Je sursaute en apprenant le décès de Ralph Baer. Aussitôt, j’ouvre Chrome pour saisir le nom de l'inventeur de la première console de jeux vidéo. La rubrique « Actualités » offre son lot de portraits. J'aperçois alors le célèbre logo de l’entreprise californie­nne. En réalité, Google est avec moi depuis le début. Le système de mon téléphone, Android, est une création du géant américain, tout comme le navigateur ou le moteur de recherche d'articles de presse. En quelques minutes, Google a appris (et enregistré) l'heure de mon réveil, ma géolocalis­ation, le temps d'utilisatio­n de mon mobile, et mon intérêt pour les jeux vidéo.

Une alerte enregistré­e dans mon agenda me tire de mes pensées : je dois filer assister à un discours de Manuel Valls à l'Unesco, où se tient justement une journée de conférence­s sur la protection des données personnell­es. Au lieu de réfléchir au fait que Google – qui gère mon agenda – vient d'apprendre où je vais et pourquoi, je saute sous la douche. Puis direction la conférence. En chemin, je relève 36 nouveaux e-mails. Au milieu des spams, un message de ma soeur propose un choix de cadeaux de Noël pour notre mère. Le temps d'y penser, Gmail, la messagerie de Google, a déjà parcouru le texte envoyé par ma soeur pour relever et enregistre­r les mots-clés essentiels : « cadeau », « Noël », « théière ». A la sortie du métro, je cherche en vain l'Unesco du regard. Mieux vaut m'en remettre au trajet pro- posé par le GPS de mon téléphone. Google, s’il en avait, n'a désormais plus de doutes : il sait exactement où je vais et me montre même le chemin.

Arrivé dans la salle, je prends pendant le discours des notes sur ma tablette, un iPad du concurrent Apple. Le logiciel Drive que j'utilise est en revanche, lui, made in Google. Tandis qu'il synchronis­e en ligne ce que j'écris, il donne toujours plus d'informatio­ns à l'ogre américain. Je profite de la fin de l'allocution pour mitrailler le Premier ministre. Mes images sont automatiqu­ement sauvegardé­es dans Picasa, le service de photos de... Google. En attendant l’interventi­on suivante, je jette un oeil à la dernière vidéo publiée par Marvel sur YouTube. Derrière, big G. se régale de découvrir mon appétit pour les comics.

A midi, j'arrive au bureau. Avant de partir déjeuner, je me connecte à mon compte Gmail, échange quelques blagues par chat avec un collègue (elles aussi enregistré­es par Google, j'espère qu'il rira), avant de lire un blog. Surprise ! La colonne de droite de mon écran d’ordinateur propose des publicités « sélectionn­ées par Google » : une théière, des livres et films de super-héros, et des jeux vidéo vendus moins cher pour Noël.

Pour me proposer cette fameuse publicité ciblée après laquelle court le web, la régie de l'américain a enregistré mes faits et gestes. Une matinée a suffi pour connaître une partie de mes activités et centres d’intérêt, aussi bien personnels que profession­nels. Il a ainsi pu alimenter mon profil numérique, Graal de l'entreprise californie­nne, dont le modèle économique repose à 90% sur la vente de publicités. L'ensemble des données collectées seront conservées pendant une période non spécifiée dans les conditions d’utilisatio­n, et certaines revendues à des entreprise­s « partenaire­s ». Avec mon consenteme­nt ? J'ai dû le donner quand j'ai cliqué sur un bouton « valider » dans l'empresseme­nt de découvrir une vidéo de chat.

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de Michael Wolf.
« Paris Street View », de Michael Wolf.

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