L'Obs

Allô Charly, ici Lionel L’ÉCHAPPÉE, PAR LIONEL BOURG, L’ESCAMPETTE, 122 P., 11 EUROS.

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C’était dans les années 1950. Pour le petit Lionel, tout était si noir, à Saint-Chamond, la ville des mines, des aciéries, des forges et de la haine. Le père réparait les engins de travaux publics, puait le cambouis et vomissait les « bicots ». La mère insultait son mari : « Je vais te cre

ver ! », tout en menaçant, un couteau à la main, de s’ouvrir le ventre, après quoi elle se dénudait devant la fenêtre en hurlant : « Un homme, j’veux un homme ! » Et le frère aîné était mort, à 13 ans, noyé dans le lac de Nantua. Heureuseme­nt il y avait Charly Gaul ( photo). La première fois que Lionel, alors âgé de 5 ans, l’avait vu, c’était en 1954. Le coureur luxembourg­eois traversait Saint-Chamond avant de s’envoler au col de la Croix de Chaubouret. Ce fut comme une apparition céleste. Charly devint alors son dieu, et le grimpeur ailé, son ange gardien. Chaque nouvel exploit du vainqueur du Tour de France 1958 allait o rir à l’enfant esseulé des échappées vers les sommets de la vie. Plus Charly courait, et plus Lionel s’évadait. Jusqu’au jour où celui que la presse surnommait « le Luxembourg­eois gen

tilhomme » mit fin à sa carrière et se fit oublier dans une forêt profonde. Lionel Bourg, pour qui la littératur­e fut une folle échappée, se souvient aujourd’hui du champion qui a éclairé son enfance malheureus­e et a rejoint, par une surprenant­e transversa­le, les Rutebeuf, Rimbaud, Crevel, Cadou, avec lesquels il a fui pour de bon les mines et les aciéries de Saint-Chamond. Son livre bref, où la prose atteint à la poésie, ne descend dans le passé que pour remonter plus haut. C’est, poignante, la confession d’un grimpeur.

JÉRÔME GARCIN

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