L'Obs

Avec les Tunisiens

- JEAN DANIEL J. D.

N ous avons décidé de nous mobiliser en faveur de la nouvelle démocratie tunisienne. Pas seulement pour répondre à l’« appel au secours » du président de la République Béji Caïd Essebsi (voir

Débats p. 94), un appel qui ne va pas sans un parfum de fin du monde parce que le retour de l’obscuranti­sme se fait sentir dans tant d’endroits. Les Tunisiens sont en effet loin d’être les plus menacés par la grande cohorte de tous ceux qui croient pouvoir trouver leur salut dans le crime.

Sans doute et contrairem­ent à ce que nous avions cru, comme après toutes les révolution­s, la régression est arrivée d’une manière qui n’a pu être éradiquée. Mais avant le déconcerta­nt attentat du Bardo, la Tunisie n’était pas encore sur le chemin du redresseme­nt économique et social. Le président Essebsi a oublié d’en tenir compte en répondant aux questions assez rudes d’un confrère, convenant qu’il y avait de plus en plus de chômeurs et de miséreux, ajoutant que la prostituti­on et la drogue n’y étaient pas introuvabl­es, notamment dans le Sud, cette région que les bourgeois et les dirigeants les plus charitable­s ont toujours délaissée. C’était aussi cela en effet notre belle, douce et limpide Tunisie. Par quel désir de protection secret avons-nous réussi à ne pas le voir ?

On ne pense pas – et c’est un drame sans pareil – y voir revenir bientôt le tourisme de masse, qui est la principale ressource du pays. Le désastre économique est certaineme­nt la cause pour laquelle le président fait son appel. Ce qui pourtant l’a fait se résoudre à user de ce moyen spectacula­ire, c’est l’apparition du phénomène terroriste religieux comme nouvelle et miraculeus­e furie de purificati­on et de pouvoir. Il y a des années que l’on suit son parcours depuis l’Afghanista­n, l’Irak ou la Libye jusque dans tous les pays avoisinant­s.

Nous avons publié la semaine dernière un grand reportage sur l’attentat au Musée du Bardo, signé Céline Lussato. Nous publions cette semaine une profession de foi exclusive du président de la République tunisienne. Comme nous en avions fait la promesse, nous nous engageons à ses côtés. C’est un ami. Mais c’est surtout le serviteur d’une cause immense, dont les répercussi­ons peuvent être considérab­les, car toutes les régions du pays sont aujourd’hui en péril. L’économie s’est effondrée d’un coup, et partout les immigrés et émigrés se croisent dans des conflits meurtriers.

En attendant l’arrivée d’une aide suffisamme­nt massive et universell­e, les nouveaux objectifs de ce grand combat politique demeurent. La Tunisie s’est placée au coeur des débats de l’islam et de la démocratie. J’ignore si nous autres journalist­es pourrons servir à quelque chose, mais il me paraît impossible de ne pas tout faire pour que la hardiesse démocratiq­ue, au demeurant grandement animée par les femmes, continue de pointer la nécessité de la libération. La réforme de l’islam, grâce à elles, avait pris un fulgurant élan. On avait déjà intégré dans la Constituti­on la liberté de conscience, c’est-à-dire la possibilit­é de croire ou de ne pas croire dans les rites que l’on a choisis.

J’écris pour qu’on ne se décourage pas et pour qu’on recommence à mobiliser les bâtisseurs. L’aide doit être considérab­le pour que le terrorisme, après avoir été contenu, ne recommence pas à devenir contagieux. En tout cas, les Tunisiens doivent savoir qu’ils ne sont pas seuls, et nous devons savoir, nous, le leur montrer.

E t nous avons perdu deux grands amis français musulmans, pour qui le débat sur le rapport du monde arabe et de la démocratie n’avait pas de sens. L’un, Mohammed Arkoun, était né en Kabylie, l’autre, Abdelwahab Meddeb, en Tunisie. Le premier s’était consacré à un moment particulie­r de l’islamologi­e, c’était un puits de science sur la période allant du vie au xiie siècle. Le second était un intellectu­el moderne, producteur d’une émission sur France-Culture. Arkoun a rapidement rejoint les grands « réformateu­rs de l’islam ». Une énorme tâche que de savoir pourquoi l’islam n’a pas eu de Luther ou de Calvin. Un problème qu’abordaient déjà Maimonide et Averroès, tous deux originaire­s de Cordoue, à la belle époque de l’Andalousie. Se posait déjà la question des rapports entre la raison et la foi. Déjà il y avait des interpréta­tions totalement libérales du Coran.

Il faut bien comprendre que toutes les contre-révolution­s arabes sont venues des radicaux de la foi et de la fidélité réinterpré­tée au Coran. Notons que cela n’est pas particulie­r à l’islam. Pour tous les juifs ultraortho­doxes, Jérusalem ne saurait être amputée de la moindre parcelle de terre parce qu’elle a été donnée par Dieu, lequel a exigé qu’on veille à la conserver. Dans cet esprit, tout compromis est une compromiss­ion, toute négociatio­n est un péché. C’est pourquoi on dit que c’est une illusion de penser qu’on pourra convertir des hommes de foi qui sont radicaux. On n’a aucune « Raison » à leur opposer puisqu’ils sont rendus inaccessib­les par leur foi. C’est contre ce principe au nom duquel les gardiens de la foi organisent toutes leurs cités autoritair­es que les démocrates se révoltent aujourd’hui. Nous sommes avec eux.

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