L'Obs

En Iran, l’espoir renaît

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Dans les nombreuses manières d’interpréte­r l’accord de Lausanne avec l’Iran sur le nucléaire, il en est une qui ne fait pas de doute : c’est la joie exprimée bruyamment, dès le soir de l’annonce, dans les rues de Téhéran et sur internet, par la société civile iranienne. Peut-on imaginer un accord diplomatiq­ue qui ferait descendre les Français sur les Champs-Elysées, comme après un match de football victorieux ? Cette exubérance jusque tard dans la nuit, ces billets de 1 dollar brandis par les Iraniens, ces selfies avec Barack Obama dont le discours d’annonce de l’accord historique était retransmis par les télés iraniennes – une première ! –, tout cela révèle une attente de jours meilleurs qu’il faut prendre en compte.

Les images de Téhéran rappellent celles de la « révolution verte » de 2009, lorsque les Iraniens étaient massivemen­t descendus dans la rue pour contester la réélection, à leurs yeux frauduleus­e, du président Mahmoud Ahmadineja­d, pour un second mandat. Ils s’étaient heurtés à une féroce répression, qui avait fait près de 150 morts, et s’étaient résignés à attendre. Leurs espoirs avaient été déçus, comme ceux qui avaient accompagné, une décennie plus tôt, la présidence de Mohammad Khatami.

L’espoir est revenu en 2013, avec la victoire surprise de Hassan Rohani, qui, en deux ans de présidence, a su mener à bien les négociatio­ns nucléaires avec le « P5+1 » (Etats-Unis, Chine, France, Royaume-Uni, Russie, plus Allemagne), ainsi qu’avec l’Union européenne, tout en préservant ses relations avec le Guide Ali Khamenei, détenteur du pouvoir suprême dans ce régime théocratiq­ue aux institutio­ns complexes.

La réaction de la rue a un sens principal : l’aspiration d’une grande partie de la population à une vie « normale », plus libre, plus apaisée, plus prospère aussi, dans un pays ouvert au monde. C’est le message de la « génération K », cette majorité d’Iraniens nés sous Khomeini, le fondateur de la République islamique en 1979, et qui n’ont connu que ce régime. C’est aussi la génération internet, qui, en 2009, a montré la capacité de mobilisati­on des réseaux sociaux deux ans avant les « printemps arabes ».

L’accord nucléaire était un point de passage obligé pour y parvenir, condition nécessaire

LE DESSIN DE WIAZ

mais pas suffisante. Tandis que les négociateu­rs vont se remettre au travail pour tenter d’aboutir à un accord définitif avant le 30 juin prochain, il faudra guetter les signes au sein de la société iranienne. Comme la levée espérée de l’assignatio­n à résidence, depuis quatre ans et sans la moindre décision de justice, des leaders réformiste­s de 2009, Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi, ainsi que celle de l’épouse de Moussavi, Zahra Rahnavard ; ou encore des assoupliss­ements des contrainte­s religieuse­s et sociales qui sont vécues comme un carcan insupporta­ble par de nombreux Iraniens, telles que la censure qui empêche, par exemple, « Taxi Téhéran », le film de Jafar Panahi primé à Berlin cette année, de sortir dans le pays (voir p. 104) .

L’aile dure du régime n’a toutefois pas dit son dernier mot, et si elle n’est pas en mesure de s’opposer à un accord nucléaire dont l’économie iranienne a un besoin vital, elle mènera le combat sur d’autres fronts. Le régime iranien a sa part d’ombre, en interne comme dans son déploiemen­t régional ; et, dans un Moyen-Orient en ébullition, tout cela ne disparaîtr­a pas comme par magie. Mais face à l’alternativ­e proposée par certains – en Israël ou aux Etats-Unis – de sanctionne­r plus durement ou même de bombarder l’Iran, avec des conséquenc­es imprévisib­les, ce pari sur la société iranienne est raisonnabl­e et heureux.

Les Iraniens, en majorité, aspirent à une vie plus libre, plus apaisée,

plus prospère aussi. L’accord nucléaire conclu à Lausanne était

obligatoir­e pour y parvenir.

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