L'Obs

Et que préconisez-vous pour éviter le pire ?

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B. Stiegler Il faut rémunérer cette contributi­on qui ne va cesser de croître, jusqu’à devenir le coeur du système. La crise et la technologi­e sont en train de laminer les classes moyennes. Tout est à réinventer : notre collectif Ars industrial­is propose d’instaurer un « revenu contributi­f », distinct d’un « revenu minimum d’existence » que l’on garantirai­t à ceux qui ne parviendra­ient pas à s’y intégrer. Ce revenu contributi­f, qui ne relève ni du salariat ni de la charité publique, serait calqué sur le modèle des intermitte­nts du spectacle. Mais cela suppose de repenser entièremen­t notre contrat social – et donc fiscal, tout aussi bien que l’Education nationale et la formation profession­nelle. Bernard Stiegler, vous ne critiquez pas l’automatisa­tion en soi… mais la manière dont le modèle de la Silicon Valley en confisque la rente. B. Stiegler Oui, parce qu’il induit un rapport à la technologi­e soumis aux actionnair­es des Big Four (Google, Apple, Facebook, Amazon). Les réseaux numériques sont quatre millions de fois plus rapides que notre système nerveux, ce qui permet aux plateforme­s qui canalisent nos traces numériques de télécomman­der nos comporteme­nts. Ces entreprise­s ont privatisé le web à leur seul avantage. Inventé en Europe pour créer des communauté­s de savoir, le web n’est plus qu’un moteur pour collecter des data au profit d’une économie réticulair­e ultraspécu­lative. Nos entreprise­s sont contrainte­s de travailler dans l’écosystème monopolist­ique de Google, qui n’est pas construit dans leur intérêt. L’Europe doit repenser et installer une architectu­re de réseau qui la serve. R. Rivaton C’est vrai que la rente est surtout captée par la Silicon Valley, mais l’économie numérique – dans son acception la plus large – ne pèse pour l’instant que 6% du PIB en France, et 10% aux Etats-Unis. Quand cette part du gâteau montera à 50%, le politique sera forcé de réagir. Il faudra créer des ressources fiscales nouvelles. Par exemple une taxe non délocalisa­ble sur toutes les consommati­ons de biens et de services. Il faudra aussi instaurer un vrai « revenu minimum » pour les exclus. Mais il serait très dommageabl­e de prendre des positions anti-intelligen­ce artificiel­le, par exemple, au prétexte qu’on ne serait pas capable de la maîtriser. La technologi­e est un outil, c’est à l’homme de décider ce qu’il veut en faire.

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