L'Obs

RIVAUX POTENTIELS

- P. B.-G.

C’est arrivé quatre fois depuis les années 1980 : un favori démocrate se promène en tête, sûr d’emporter la nomination, et soudain, bing ! Un rival surgit de nulle part, un type que personne ne connaissai­t cinq minutes plus tôt. Gary Hart (1984), Bill Bradley (2000), Howard Dean (2004) et Barack Obama (2008) ont connu des fortunes diverses, mais les précédents sont suffisamme­nt nombreux pour rappeler qu’à vingt mois d’une présidenti­elle américaine, l’affaire est loin d’être pliée – même pour l’ultrafavor­ite Hillary Clinton. Aucun rival potentiel ne s’est officielle­ment déclaré, mais beaucoup n’attendent qu’une faiblesse de Hillary pour le faire. Parmi les noms qui reviennent le plus souvent : Martin O’Malley , ex-gouverneur du Maryland. Belle gueule, abdos tablettes de chocolat, groupe de rock celtique (les O’Malley’s March), il tente d’occuper une position à la gauche de Hillary, notamment en s’attaquant à Wall Street. Il serait un substitut à l’idole de la gauche du parti, la populaire sénatrice du Massachuse­tts, Elizabeth Warren , qui répète qu’elle ne se présentera pas. Joe Biden , toujours fringant, rêve quant à lui de faire le coup du vice-président-qui-devient-président. Seuls problèmes, sa propension aux gaffes et son âge : à quelques jours près, il aura 74 ans le soir de l’élection. Jim Webb vise également l’électorat mâle blanc, peu séduit par Hillary, mais personne n’a trop l’air de croire aux chances de l’ex-marine, héros de la guerre du Vietnam, écrivain et ancien sénateur de Virginie. Le bon vieux Bernie Sanders , lui, ne rêve pas d’une victoire : le sénateur du Vermont est la conscience de gauche du parti, sa candidatur­e resterait symbolique. L’ambitieux Andrew Cuomo , au contraire, rêve de la présidence chaque matin en se brossant les dents. Mais il est peu probable que le gouverneur de New York se lance dans la bataille, vu ses liens très étroits avec les Clinton.

Bill Clinton était un virtuose du mouvement vers le centre, ce que l’on a appelé la “triangulat­ion”. Il n’est pas sûr que dans les dix années qui viennent, un politicien, quel qu’il soit, puisse rééditer l’exploit. » Le système politique est trop polarisé, Washington trop divisé et l’on sent courir dans l’électorat un immense ras-le-bol devant le statu quo et les inégalités.

Comme en France, plus qu’entre droite et gauche le clivage de la prochaine présidenti­elle se fera entre populistes et tenants du système existant. C’est ce qu’a répété Mike Lux, le consultant démocrate aux stratèges de l’équipe de Hillary : « Je leur ai donné ce conseil, raconte-t-il, embrasser trois ou quatre objectifs populistes spécifique­s. Les gens ne veulent plus de promesses vagues, ils n’y croient plus. Elle pourrait par exemple proposer de rétablir une muraille de Chine entre banques de détail et banques d’investisse­ment. Ou bien reprendre à son compte l’idée européenne d’une taxe sur les transactio­ns financière­s. » A-t-il été entendu ? « Qui sait… Ils consultent beaucoup de monde, et beaucoup de ceux qu’ils consultent ont plus d’argent que moi ! » répond-il. Pourtant, « le terrain politique est peut-être mûr pour un moment transforma­teur, comme le fut la “révolution Reagan” , affirme Jeffrey Tulis, historien à l’université du Texas. Notamment à cause des inégalités, qui sont devenues une préoccupat­ion telle que même les républicai­ns la reconnaiss­ent ». Hillary pourrait même se présenter comme une candidate « transforma­trice » en s’attaquant à l’institutio­n du Congrès, ses blocages, sa corruption, son échec à légiférer efficaceme­nt.

Elle peut choisir la voie Clinton, ou la voie Roosevelt. Embrasser le mécontente­ment populiste de la classe moyenne, ou le contenir avec de vagues promesses. Au risque, si elle choisit la prudence, de ne pas voir venir la patte de l’ours. La patte qui ne prévient pas, qui ne pardonne pas.

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