L'Obs

Où se trouve Al-Baghdadi ?

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Prophète et le fondateur du chiisme. Des photos de l’imam Khomeini, le père de la révolution iranienne, tapissent les pare-brise. Des haut-parleurs hurlent des hymnes guerriers aux mélodies sirupeuses. Ses passagers chantent, dansent en brandissan­t leurs armes. A quelques dizaines de kilomètres seulement au nord de Bagdad, c’est un paysage de guerre qui défile en accéléré puisque la milice n’a pas besoin de s’arrêter aux check-points militaires qui rendent la circulatio­n désormais si laborieuse en Irak.

Les seuls véhicules que l’on croise sont des chars ou des blindés, et les villages brûlés qui jalonnent la route témoignent de la violence des combats qui se poursuiven­t au nord et à l’ouest de la capitale. Une guerre confession­nelle. Sunnites contre chiites. Daech a ranimé cette flambée sectaire qui a embrasé l’Irak en 2006 et relancé de vieilles tensions tribales assoupies : L’émir autoprocla­mé de l’Etat islamique, Abou Bakr al-Baghdadi, serait toujours dans la ville irakienne de Bahaj, au sud de Sindjar, où il a été aperçu en train de prier dans une mosquée, le mois dernier.

C’est le chercheur irakien Hicham al-Hachimi qui l’affirme. Ce spécialist­e de l’organisati­on djihadiste qui a rencontré plusieurs des

chefs de l’état-major de Daech, dont le frère de Baghdadi, et interviewé des dizaines de ses membres, rappelle que, le 7 décembre 2014, une frappe aérienne avait atteint à Bahaj une des voitures qui appartenai­ent au chef de l’EI et blessé son chauffeur. Deux bases de

Daech et plusieurs stocks d’armes avaient été détruits, près de la ville. Déjà sous Saddam Hussein la ville aux mains de tribus salafistes échappait au contrôle du pouvoir central. Le chercheur évoque des dissension­s entre Baghdadi et son numéro deux, Mustafa Abdul

Rahman Khatuni, émir d’Irak et commandant militaire de l’organisati­on, qui regrettera­it la scission avec Al-Qaida. Tensions exacerbées par l’affaibliss­ement du groupe depuis que les forces de la coalition ont repris le contrôle des deux tiers des puits de pétrole de l’EI et qu’il est plus difficile pour Daech de faire venir de nouvelles

recrues par la Turquie qui contrôle mieux ses frontières. S. D. l’organisati­on djihadiste a levé les derniers tabous de cette société qui a oublié depuis longtemps qu’avant l’occupation du pays par les Américains, en 2003, il était mal élevé de demander à quelqu’un sa confession. Jurf al-Sakhar, Amerli, Al-Balad… Autant de villages, pris, perdus et encore regagnés dans cette croisade aux contours aussi fluctuants que le désert.

Tikrit apparaît, enfin, au détour d’une palmeraie, après un pont sectionné en deux par l’artillerie de Daech lors de sa retraite. Une ville ravagée par les combats, les bombardeme­nts de la coalition : 24 cibles frappées du 26 au 29 mars. D’épaisses fumées grises s’élèvent des bâtiments officiels. Echoppes dévastées, cratères d’obus au milieu des routes, maisons encore en feu. Dans les rues désertes, jonchées de cartouches et de débris, les milices roulent à tombeau ouvert comme pour bien signifier qu’elles sont les nouveaux maîtres des lieux.

Seuls les palais en béton massif et aux lourds décors néo-assyriens, vestiges du mauvais goût de Saddam, semblent avoir bien résisté. Devant le principal d’entre eux, à peine écorné par les bombes, des religieux chiites de Nadjaf en turban et en treillis tirent des rafales de kalachniko­v pour marquer leur joie. Les chars postés à côté du bâtiment leur répondent. Le vacarme est assourdiss­ant. Il masque le bruit des combats qui continuent du côté de l’université et dans les faubourgs de la ville. Les djihadiste­s de l’Etat islamique se sont repliés au nord de Tikrit, vers El-Alam.

En Irak, ce sont les inscriptio­ns murales qui consacrent les victoires militaires. Ici aussi les combattant­s se sont empressés d’arracher les drapeaux et de barbouille­r les profession­s de foi de l’organisati­on de l’Etat islamique pour les remplacer par leurs propres devises. A la lecture des graffitis rédigés en farsi sur les façades de Tikrit, c’est bien l’Iran qui a remporté la bataille : « Khomeini, Tikrit est aux mains de tes petitsenfa­nts ! » ou encore « En prenant Tikrit, nous pensons à nos martyrs », signé les « pasdarans », les gardiens de la révolution iranienne.

Devant le fleuve, entouré d’une foule compacte de

 ??  ?? Une mosquée détruite, des véhicules incendiés… la ville a été ravagée par les combats et les bombardeme­nts.
Une mosquée détruite, des véhicules incendiés… la ville a été ravagée par les combats et les bombardeme­nts.

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