Comment êtes-vous tombé sur la « tablette de l’arche » ?
Je ne suis pas tombé dessus, elle est arrivée à moi. En 1985, un certain Douglas Simmonds est venu au musée nous apporter toutes sortes d’objets qu’il avait hérités de son père et, au milieu d’eux, il y avait cette petite tablette, de la taille d’un téléphone portable et couverte d’écriture cunéiforme – 60 lignes recto verso rédigées en akkadien. A première vue, elle ressemblait plutôt à une lettre commerciale et datait de la période paléo-babylonienne (1900-1600 av. J.-C.). Ce n’est qu’en débutant sa lecture que j’ai compris que j’avais a aire à l’histoire du Déluge, dont les premiers mots sont si connus : « Palissade, ô palissade ! Paroi, ô paroi de roseaux ! » J’ai frôlé la crise cardiaque. Il me fallait du temps pour déchiffrer la suite, qui présentait bien des di cultés. Malheureusement, le propriétaire refusa de me confi er la tablette et repartit aussitôt avec. Je ne l’ai plus revue durant plus de vingt ans ! Et puis, un beau jour, en 2009, lors d’une exposition que j’avais organisée sur Babylone, j’ai reconnu Simmonds dans le public. Cette fois-ci, il accepta de me confi er son précieux morceau d’argile. A cet instant, l’histoire de ma vie a complètement changé.
Qu’avez-vous découvert alors ? Une merveille. Ni plus ni moins que le manuel d’instructions détaillé pour la construction d’une arche ! J’avais sous les yeux le passage du récit diluvien où le dieu Enki décide de parler à un homme, Atrahasis – un « proto-Noé », si l’on veut –, pour lui expliquer qu’il doit construire un bateau afi n de sauver l’humanité parce que l’eau va submerger le monde. Il lui donne toutes les indications nécessaires à son ouvrage, des matériaux à employer aux dimensions à respecter. A quoi devait donc ressembler cette arche ? C’est ça qui est très étonnant et qui m’a valu une bonne montée d’adrénaline. Contrairement à l’image qu’on s’en fait tous depuis la Bible, l’embarcation de sauvetage décrite dans la tablette de l’arche était de forme… ronde ! Personne n’avait jamais songé à cette éventualité. Et j’ai moi-même douté. Mais, à bien y réfl échir, cela faisait sens. On trouvait bien en e et dans l’ancienne Mésopotamie une sorte de bateau construit selon un plan circulaire : le coracle (ou gufa). Faites de roseau, ces embarcations légères faisaient penser à de grands paniers, calfatés avec du bitume pour éviter les infi ltrations. Et, si elles étaient di ciles à diriger et pouvaient se mettre à tournoyer, elles étaient insubmersibles et d’une exceptionnelle stabilité. Le coracle avait fi nalement toutes les qualités requises pour un déluge, où seul comptait le fait de ne pas couler. Celui de ma tablette était de taille gigantesque puisqu’il faisait 3 600 mètres carrés de superfi cie à sa base ! Nous sommes aussi certains que l’arche avait un toit puisque, à la ligne 45, Atrahasis y grimpe pour prier le dieu Lune. Pourquoi le texte donne-t-il un tel luxe de détails sur sa fabrication ? Pour la vraisemblance. En ces temps-là, dans les