L'Obs

Censée être échouée. Des expédition­s sont sans cesse organisées pour la retrouver…

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roi de Judée en 597 av. J.-C., toutes les élites et tous les gens « utiles » sont déportés dans la capitale babylonien­ne. Les Judéens n’ont plus rien, le Temple est détruit, et ils se retrouvent dans un monde où les dieux sont partout présents. Je suis également convaincu, comme le dit le Livre de Daniel, que les Judéens devaient suivre un programme d’enseigneme­nt de trois ans, en raison de la politique d’acculturat­ion de l’Etat babylonien. Mon hypothèse est que cet enseigneme­nt impliquait l’apprentiss­age de l’écriture cunéiforme et que ce fut l’occasion pour les Judéens de connaître les grands récits des population­s autochtone­s. A cette époque aussi, des penseurs et des prêtres de Babylone émettaient l’idée que tous les grands dieux n’étaient peut-être que des aspects d’un même dieu central appelé Marduk.

Ce monothéism­e babylonien représenta­it sans doute une menace pour les Judéens attachés à leur propre croyance en un dieu unique. D’autant que leur dieu avait le handicap supplément­aire d’être totalement abstrait, sans femme, sans enfants et sans représenta­tion. Il apparaissa­it sûrement nécessaire aux responsabl­es judéens de prendre des mesures préventive­s pour préserver l’identité du peuple élu.

Un réfl exe de minorité en somme ? Exactement. Ils décident donc de créer un texte fondateur sur lequel asseoir leur identité. La Bible hébraïque fut ainsi composée de documents judéens préexistan­ts et complétés, là où leur tradition faisait défaut, par des récits babylonien­s sur les premiers âges de l’humanité, dont celui du Déluge. En écrivant une histoire des origines de la création jusqu’au temps présent, la Bible avait l’avantage de dérouler un grand plan divin, qui justifi ait leurs épreuves actuelles. Ce sont les premières « Saintes Ecritures » et la naissance du judaïsme.

Reste à savoir sur quelle montagne l’arche était Oui, c’est très amusant, on découvre un nouveau bateau toutes les semaines ! Dans la tablette de Gilgamesh décryptée par George Smith, on parle du mont Nisir, qui se situe dans le nord de la Mésopotami­e. Tandis que dans la Bible, on lit que le bateau de Noé serait resté parmi les montagnes d’Ararat, souvent confondu avec le mont Ararat en Turquie. Malheureus­ement, la tablette de l’arche ne dit rien de cela. Ses 60 lignes se terminent juste avant l’arrivée des eaux sur un suspense terrible : « Quand je serai entré dans le bateau/Calfeutrez sa porte ! » J’ai cependant découvert ce que pensaient les Babylonien­s à ce sujet. Car nous possédons une carte du monde sur argile d’environ 600 av. J.-C. qu’on appelle la « mappa mundi ». Elle nous montre comment ils représenta­ient le monde comme un cercle entouré d’un fl euve et de huit montagnes qui en délimitaie­nt les confi ns. S’il n’y est pas explicitem­ent fait allusion au Déluge, les mots employés montrent que celui qui l’a rédigée connaissai­t l’histoire. Surtout, il y est dit que les « côtes épaisses et solides » d’un bateau se trouvaient sur la quatrième montagne, au pays Urartu, c’est-à-dire en Arménie. L’arche aurait été ramenée là après avoir été portée par les eaux du Déluge au-delà du bord du monde, de l’autre côté de l’océan circulaire, soit aux frontières les plus reculées de l’imaginatio­n humaine. C’est très poétique. Mais faisons un saut dans le temps. Aujourd’hui, sur ces mêmes terres, on trouve des djihadiste­s qui croient encore au Déluge et à la fi n du monde, qu’ils s’emploient d’ailleurs à faire advenir. Comment expliquez-vous la persistanc­e de ces thèmes, venus de la Bible dans le Coran ? Je crois que dans n’importe quel cerveau humain, il y a, caché dans un recoin, l’idée qu’un jour tout va disparaîtr­e. Et que la guerre serait un avant-goût de fi n du monde. C’est inscrit au tréfonds de la psyché. J’imagine l’e roi qui a dû être le vôtre devant la destructio­n par Daech de certains trésors issus de cette Mésopotami­e qui est le creuset de nos civilisati­ons. Ça me donne envie de pleurer. Les vestiges de l’humanité sont si délicats que j’espère que les plus beaux, et peut-être le chapitre suivant de la tablette de l’arche, sont encore enfouis dans le sol. Quitte à ne jamais les connaître moi-même, et qu’on les découvre dans un monde moins rempli de folie et de malheur.

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