L'Obs

LES LUMIÈRES CONTRE LE DÉCLIN

Laurent Jo rin publie “le Réveil français” pour en fi nir avec les discours de la décadence

- RENAUD DÉLY

Le pire n’est jamais sûr. Et ceux qui parlent haut et fort n’ont pas forcément raison. Depuis une dizaine d’années, c’est une caste bien particuliè­re qui occupe les écrans et squatte les micros : on les appelle les décliniste­s. Du matin au soir et du soir au matin, ces apôtres de la décadence récitent un couplet bien connu, celui de la disparitio­n de la France sous le poids des immigrés, des musulmans, de l’Etat, des impôts, etc. Ils psalmodien­t sans se lasser un refrain vieux comme la République. De Louis de Bonald à Joseph de Maistre en passant par Edouard Drumont et Maurice Barrès, leurs devanciers sont légion. Nos corbeaux de mauvais augure ont pris d’assaut les plateaux des chaînes d’info et piaillent, piaillent, piaillent… tout en répétant qu’on les bâillonne et qu’on ne peut plus rien dire. Le petit livre (1) vif et enlevé de Laurent Jo rin, ancien patron de « l’Obs », aujourd’hui directeur de « Libération », vient rompre le sinistre ronronneme­nt de cette cohorte de désespérés, emmenée par le bouillant Alain Finkielkra­ut. L’auteur fait oeuvre de salubrité démocratiq­ue en déployant une sorte de bon sens de gauche pour clouer le bec au choeur de joyeux drilles qui, d’Eric Zemmour à Robert Ménard en passant par Ivan Rioufol ou Elisabeth Lévy, s’appliquent à jeter des pelletées de terre sur les valeurs républicai­nes.

Non, le « suicide français » n’est pas pour demain, et l’Hexagone n’est pas au bord du chaos. Il su t de passer en revue ses atouts économique­s, son dynamisme démographi­que, sa richesse culturelle, sa puissance militaire ou son infl uence diplomatiq­ue pour s’en convaincre. Même la façon dont notre pays traverse tant bien que mal la crise depuis 2008 n’est pas si dramatique que cela au regard des faillites et des cures d’austérité drastiques qui ont englouti les économies du sud de l’Europe. « Quand je m’observe je m’inquiète, quand je me compare je me rassure » : la maxime de Talleyrand fait fi gure de conseil avisé pour ceux qui prétendent jauger lucidement l’état de la France. Sans jamais céder à l’angélisme ni nier les di cultés suscitées par la mondialisa­tion, Laurent Jo rin remet en perspectiv­e l’idéal démocratiq­ue et redonne du sens là où la passion menace de tout emporter. Le « modèle français » ne s’est pas dissous, l’intégratio­n fonctionne encore et l’Etat-providence résiste aux assauts de la dérégulati­on. Bref, dans un monde incertain en quête de nouveaux repères, la panique identitair­e qui s’empare du corps social apparaît comme démesurée par rapport à l’état réel du pays. Ecrit au lendemain des défi lés massifs du 11 janvier, cet essai est une bou ée d’oxygène bienvenue pour dissiper le lepénisme ambiant et la zemmourisa­tion des esprits. Il nous rappelle que l’esprit des Lumières ne s’est pas éteint. Et que le progrès reste une idée neuve, en Europe sans doute, en France à coup sûr.

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