L'Obs

Censuré, il tourne encore !

Le régime iranien l’a emprisonné, lui a interdit de réaliser, et pourtant le cinéaste de “Sang et Or” continue de filmer, même au volant d’un taxi. Enquête

- PASCAL MÉRIGEAU

C’est le fantôme des festivals de cinéma. Jafar Panahi est convié partout, comme membre de jury ou invité d’honneur, mais il n’est jamais présent. Cela dure depuis près de cinq ans, depuis qu’il a été condamné par la justice iranienne pour participat­ion à des protestati­ons et propagande contre le régime. Un régime qui l’accuse de destiner ses films exclusivem­ent aux spectateur­s étrangers et lui interdit de les montrer en Iran. Ce qui est absurde puisque le droit de réaliser des films lui a été retiré. Après quelques semaines passées en prison, au printemps 2010, il a été libéré sous caution et demeure sous la menace d’une peine de six années d’emprisonne­ment. Quatre interdicti­ons pèsent sur Jafar Panahi : réaliser des films, écrire des scénarios, parler de sa situation, sortir d’Iran (son passeport lui a été enlevé). Sans doute pourrait-il partir, mais alors il ne pourrait plus revenir dans son pays. Pour chacune des quatre interdicti­ons, il risque vingt ans de prison. Soit, en théorie, quatre-vingts années, plus les six du sursis. Jafar Panahi aura 55 ans le 11 juillet prochain.

Et pourtant il tourne ! Dans un premier temps chez lui, enfermé, à deux reprises : « Ceci n’est pas un film » a été montré à Cannes en 2011, « Pardé » (« Rideau fermé ») a reçu l’ours d’argent du meilleur scénario à Berlin en 2013. Deux films qui forçaient la compassion, mais qui ne convainqua­ient pas. Comment aurait-il pu en être autrement ? Jafar Panahi était au fond du gouffre, désespéré, contraint de filmer au moyen d’un téléphone portable, coupé de tout ce qui le constitue, privé de sa passion. Que ses films soient parvenus jusqu’à Cannes et Berlin alimente les fantasmes et fonde sa légende. Ainsi, on prétend que « Ceci n’est pas un film » serait arrivé à Cannes sur une clé USB cachée dans un gâteau…

“TAXI, UN MÉTIER COMME UN AUTRE”

Comme le cinéma lui est interdit et que toute caméra filmant dans la rue attire l’attention, Panahi a d’abord pensé à la photo. Pendant des mois, il a ainsi photograph­ié le ciel et les nuages, mais lorsqu’il a souhaité faire agrandir ses clichés, il s’est heurté à un mur. Alors qu’il venait d’essuyer un énième refus de la part d’un

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Jafar Panahi en chauffeur dans « Taxi Téhéran ».

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