L'Obs

Natalie Prass, fi lle d’avril

PAR NATALIE PRASS (SPACEBOMB/CAROLINE)

- FABRICE PLISKIN

« Mon bébé ne me comprend plus… » Elle chante ses peines de coeur comme une Dusty Springfi eld maladive et sa voix chlorotiqu­e de « Fille d’avril » vous remue jusqu’à l’os, quand, chétive et puissante, elle gémit à votre oreille qui n’en demandait pas tant « Notre amour est un long adieu… » ou quand elle vous interpelle avec un étonnement ombrageux, comme si elle s’adressait à un pervers narcissiqu­e, « Pourquoi ne crois-tu pas en moi ? » . A quoi se résoudre ? Que faire quand, par romantisme, elle vous supplie de la violenter, « Casse-moi les deux bras, car ces bras ne se lasseront jamais de t’étreindre » ? Dans ces doléances lamentable­s et précieuses, on croirait entendre à la fois une sorte de Stevie Nicks psychorigi­de et la religieuse portugaise de Guilleragu­es qui, il y a quatre siècles, écrivait à son amant oublieux et consommate­ur : « Vous êtes plus à plaindre que je ne suis, et il vaut mieux sou rir tout ce que je sou re que de jouir des plaisirs languissan­ts que vous donnent vos maîtresses de France. »

Née en Virginie il y a vingt-huit ans, Natalie Prass vit à Nashville, mais les fastueuses orchestrat­ions de son premier album ressuscite­nt et citent la soul de Memphis et du label Stax avec ses cuivres grandioses et ses cordes capiteuses. Ecoutez donc la ballade exquisémen­t mélodramat­ique « My Baby Don’t Understand Me » ou l’ombrageuse rengaine « Bird of Prey ». Le disque de Prass est produit par l’hirsute Matthew E. White dont l’album « Big Inner » aux couleurs country-soul-gospel avait séduit les amateurs, en 2012, par l’élégance de ses arrangemen­ts. Ici, le producteur virtuose se passe même quelques fantaisies kitsch. Certaines évoquent la période orchestral­e de Scott Walker (« Christy »). D’autres rappellent les sucreries de Phil Spector sur « Death of a Ladies’ Man » de Leonard Cohen. A moins de s’appeler Cendrillon et d’avoir sa carte premium à la Princess Academy, di cile de se pacser sur « It Is You », valse mignarde. Mais, dans le genre sentimenta­l, « Reprise » est un miracle de fumée qui ne tient que par les volutes de sa production. En résumé, un disque charmeur et plein de conseils pratiques : « Je veux te téléphoner, mais je ne le fais pas, je veux être plus intelligen­te que ça. »

Newspapers in French

Newspapers from France