L'Obs

Hillary, c’est parti !

Avant même d’annoncer sa candidatur­e, l’ex-First Lady est donnée favorite de la présidenti­elle de 2016. Il y a huit ans, lors de la primaire démocrate face à Obama, les Américains l’avaient trouvé lointaine, froide, inauthenti­que. Cette fois, elle va dev

- DE NOTRE CORRESPOND­ANT AUX ÉTATS-UNIS PHILIPPE BOULET-GERCOURT

L’électeur américain est comme l’ours sibérien : il hiberne. Tous les quatre ans, pour peu qu’il n’oublie pas de se réveiller, il s’ébroue, sort de sa tanière et choisit son président. Quand il dort, ses ronflement­s couvrent le vacarme des chaînes d’info. Le buzz politique, il s’en fiche. L’acharnemen­t de la droite contre Hillary Clinton, depuis l’enquête sur l’assassinat du consul américain à Benghazi jusqu’aux finances de la Fondation Clinton, en passant par l’ emailgate , la messagerie privée qu’elle utilisait comme secrétaire d’Etat (ministre des Affaires étrangères)… Tout cela lui rentre par une oreille et sort par l’autre. L’électeur américain est omnivore mais n’avale pas tout ce qu’on lui sert. Il va à l’essentiel. Au moment de voter, le 8 novembre 2016 ou quelques semaines avant, il contempler­a d’un oeil frais les candidats. Il regardera Hillary Clinton. Il se dira : elle a de l’expérience. C’est une femme. C’est son tour. One, two, three , aussi simple que cela. L’électeur américain votera, puis se recouchera.

Inévitable. Superstar. Hyperfavor­ite. De combien d’années faut-il remonter dans le passé avant de trouver un futur président aussi bien placé pour l’emporter ? Plus de soixante, avec la campagne d’Eisenhower en 1952. Lors de son premier essai, en 2008, Hillary était partie en tête, comme le lièvre de la fable avant de repérer bien trop tard, dans son rétro, un certain Barack Obama. Cette fois, plus question de se laisser surprendre. A la veille d’annoncer sa candidatur­e et d’inaugurer son QG de campagne de Brooklyn, elle n’a rien laissé au hasard. Elle a tout pour elle, le souvenir nostalgiqu­e des « années Bill », quand son mari régnait sur un pays prospère, la notoriété, l’expérience, la compétence, l’envie pour beaucoup d’Américains d’élire une femme, la mauvaise conscience de certains de lui avoir préféré un inconnu en 2008, les centaines de millions de dollars qu’elle récoltera sans problème, son organisati­on en béton, des rivaux démocrates lilliputie­ns, des adversaire­s républicai­ns sexy comme des troncs d’arbre… Tout ! Les femmes la plébiscite­nt : 56% ont d’elle une opinion favorable, selon un récent sondage Gallup. Un chiffre qui grimpe à 83% chez les sympathisa­ntes démocrates.

Tout, et rien. Les cimetières sont jonchés de favoris éphémères. Reprenez les chiffres à la loupe, et le suspense

CORBIS revient au galop. Toutes population­s confon-

dues, sa cote de popularité est « sous la barre des 50%,

ce qui n’a rien d’exceptionn­el pour la présidenti­elle » , notait récemment Nate Cohn dans le « New York Times », qui ajoutait : « Elle pourrait facilement

perdre. » Début mars, un frisson glacé a parcouru les rangs démocrates avec l’ emailgate . Ses justificat­ions ont été tardives, légalistes, peu convaincan­tes. Au détour d’une conférence de presse, l’Amérique a soudain redécouver­t une Hillary embourbée dans son passé, dans un CV politique unique – First Lady, sénatrice, candidate à la présidenti­elle, secrétaire d’Etat

– mais parfois lourd à porter. « Vous êtes encore sur le

tarmac mais nous souffrons déjà du jetlag » , lui a balancé Maureen Dowd, l’éditoriali­ste du « New York Times » qui déteste les Clinton. Vingt mois, en politique, c’est une éternité. Encore quelques couacs de ce type et Hillary Clinton pourra remballer son rêve de devenir la première présidente des Etats-Unis.

Elle va devoir se représente­r aux Américains. Une campagne présidenti­elle est une histoire que l’on vend aux électeurs, et la sienne a évolué. Elle n’est plus la « femme de » qu’elle était encore il y a sept ans. Avec l’âge, Bill a ralenti le pas, il est devenu dur d’oreille et ne se voit plus en haut de l’affiche. Elle, de son côté, a tiré les leçons de l’humiliatio­n de 2008. Beaucoup l’avaient alors trouvée lointaine, scotchée à son script, inauthenti­que, sans conviction­s réelles ni charisme. Son vrai péché, en réalité, avait surtout été de nommer les mauvaises personnes aux mauvaises places pour sa campagne. Quand ses proches l’avaient alertée sur « l’arrogance au sommet » de son organisati­on, elle ne les avait pas entendus. Démolie par Obama, elle s’est relevée à une vitesse stupéfiant­e en acceptant de diriger sa diplomatie. Elle a visité les pays (112), enquillé les kilomètres (1,4 million), rencontré des dizaines et des dizaines d’ONG défendant les droits des femmes et des minorités… L’infatigabl­e

Madam Secretary a épuisé son entourage, se gobergeant de piments forts pour tenir le coup. Et elle s’est détendue, même avec les journalist­es qui l’accompagna­ient. « Elle aimait raconter des blagues , raconte Kim Ghattas, une journalist­e de la BBC qui l’a suivie pendant quatre ans avant d’écrire un livre, “The Secretary.” Elle avait parfois un côté un peu espiègle. Un jour, elle nous a raconté comment elle avait appelé par surprise le président bolivien Evo Morales [très

antiaméric­ain], né comme elle un 26 octobre, pour lui souhaiter bon anniversai­re. “Il en est tombé de sa chaise”, a-t-elle dit en éclatant de son gros rire. »

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