L'Obs

Dédiabolis­er, dit-elle

- JEAN DANIEL J. D.

Ily a près de quatre ans, le 22 juillet 2011, sur l’île norvégienn­e d’Utoya, un jeune homme habité par cette démence exterminat­rice qui fabrique les tueurs de masse se livrait au massacre de 77 étudiants. L’épouvante a fait partout son chemin, et l’on s’est habitué à toutes les formes de barbarie, qu’elles viennent d’un fasciste nordique ou d’un djihadiste de Daech. Il est normal dans ces conditions que tout ce qui concerne la sécurité ait tendance à devenir une préoccupat­ion prioritair­e. Le dialogue entre ceux qui se soucient de l’excès de pouvoir donné à l’Etat tandis que Manuel Valls veut faire comprendre que sans répression policière il n’y a pas d’Etat est un débat vital non pas sur les principes mais sur les moyens. Le terrorisme est devenu une affaire internatio­nale. Il ne faut donc pas s’étonner des sursauts qu’il provoque. C’est une période d’ébullition, de turbulence­s et d’effervesce­nce. Voici les trois mots avec lesquels on peut résumer la situation chaque matin en ouvrant son journal. A la condition toutefois de ne pas se laisser abuser par le feuilleton sur les poisons de la famille Le Pen.

Je n’ai pas, on s’en doute, de sympathie particuliè­re pour la présidente du Front national et je me garde d’inciter à toute indulgence pour son entreprise. Mais après l’onde de choc d’Utoya, dans une de ses déclaratio­ns, il s’était trouvé une phrase inattendue et loin d’être indifféren­te. Evoquant son enfance, la présidente du Front national avait répondu : « Peut-on imaginer la vie d’une petite fille qui entend tous les jours à l’école que son père est un fasciste ou un assassin ! »

Ce qui devenait en somme un véritable appel à la commisérat­ion des ennemis politiques a introduit un peu de complexité dans mes sentiments. Oui, on souffre de la même façon lorsque son père est insulté, qu’il soit fasciste, juif, arabe ou noir. Oui, on comprend que la petite Marine se soit crue seule dans ce cas. Mais, une fois devenue femme, elle a tout de même les moyens de voir qu’il n’en est rien.

Cela m’avait donné envie de réagir et, dans mon éditorial de la semaine suivante, j’avais fait observer à Mme Le Pen que je comprenais son désir de dédiabolis­er son père mais que ce n’était guère possible pour tous ceux qui le considérai­ent comme le diable. Nous le voyons bien aujourd’hui où la rupture s’accomplit entre le père et la fille. Jean-Marie Le Pen n’a jamais cherché à être respectabl­e ni à se repentir des propos qu’il avait tenus. Il semble obsédé au contraire par l’affirmatio­n de sa fidélité aux sentiments et à la formulatio­n des principes qui, par leur caractère agressif, le rapprochen­t des partis néofascist­es. Marine Le Pen a su comprendre la considérab­le évolution de l’opinion populaire qui s’est accomplie depuis le 11 septembre 2001. Et notamment qu’il valait mieux être soupçonnée d’arabophobi­e plutôt que d’antisémiti­sme, surtout quand les chrétiens sont persécutés comme ils le sont aujourd’hui au ProcheOrie­nt. Elle a alors commencé à déclarer que les juifs n’avaient rien à craindre d’elle, et que certains de ses lieutenant­s étaient prêts à se rendre en Israël.

Cela ne stoppe en rien le retour de l’antisémiti­sme, une très ancienne passion française. Marine Le Pen a commencé par respecter dévotement l’héritage d’un père qui avait remporté un cinquième des voix au premier tour d’une présidenti­elle, mais qui avait aussi recueilli plus de quatre millions de voix au second tour face à Jacques Chirac. La France s’était tout de même massivemen­t rassemblée contre Jean-Marie Le Pen et il fallait en comprendre les raisons. Marine Le Pen a compris notamment qu’il valait mieux s’éloigner de tous les propos qui braquaient contre elle une majorité de Français bien qu’elle en exprimât souvent les idées de fond.

« La France est un pays de droite », disait Mitterrand pour justifier son ralliement aux institutio­ns gaullienne­s. Et que dire, aujourd’hui, dans un pays rongé par la crise ! On ne cesse d’y observer la progressio­n d’un conservati­sme xénophobe décidément pas privé d’avenir. Surtout si à gauche les uns s’enracinent dans le même genre d’erreurs, tandis que les autres maintienne­nt leur culte de la division. La surprise est que le Front national n’ait pas encore réussi à rafler toute la mise.

Jean-Marie Le Pen n’a jamais cherché à être respectabl­e ni à se repentir des propos qu’il avait tenus.

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