Comment comprenez-vous cette laïcité à la française, que la loi de 1905 elle-même ne définit nulle part ?
CARDINAL GERHARD MÜLLER A l’époque où les lois de laïcité ont été élaborées, il n’existait en France que la religion catholique, devenue l’ennemi absolu des radicaux qui voulaient en diminuer le pouvoir. L’expropriation de l’Eglise de ses biens temporels a clairement été vécue comme un acte d’injustice. La laïcité n’était alors qu’un autre nom de l’anticatholicisme et elle semble à présent recouvrer cette dimension agressive. Nous ne souhaitons évidemment pas retourner à un Etat catholique et nous acceptons la séparation des Eglises et de l’Etat, mais l’Eglise doit demeurer libre et non pas être subordonnée à l’Etat, qui, de notre point de vue, n’est qu’une organisation relative. L’Etat n’est pas propriétaire des citoyens et des communautés, il ne peut pas répondre à la question du sens de la vie et des fins dernières. Nous exigeons donc une pleine liberté de conscience pour tous, religieux comme non-religieux.
Pierre Manent, le cardinal rappelle ici que la laïcité s’est construite non sans douleur, dans un combat contre la puissance de l’Eglise en France. Toutefois, la version de 1905 aboutissait à une solution somme toute très libérale… PIERRE MANENT L’hostilité à l’Eglise fut extrêmement forte à certaines périodes. On a pu parler d’une « guerre des deux France », la France catholique et la France révolutionnaire républicaine. Mais, si l’on se détache un peu du bruit et de la fureur de cette époque, la laïcité française prend e ectivement un sens plus positif. Si, d’un côté, l’Etat, en l’occurrence la République, a le monopole de la décision et du commandement politiques, de son côté, l’Eglise est libre d’enseigner, de s’organiser et de participer à la vie sociale. La laïcité au sens originel découle donc simplement de la séparation de l’organisation politique et de la société. Non pas de la séparation du public et du privé, comme on l’avance souvent à tort. Après la loi de 1905, la France laïque reste d’ailleurs une nation largement chrétienne. Vous avez cependant raison sur un point délicat : il y a une rivalité entre