L'Obs

Bertrand est tout chose

PAR JACQUES A. BERTRAND, JULLIARD, 142 P., 16 EUROS.

- JÉRÔME GARCIN GRÉGOIRE LEMÉNAGER

A peine a-t-il fini de manger son estomac et un méchant crabe que Jacques A. Bertrand (photo) se saisit d’un aspirateur, dont il rappelle que le cordon ombilical n’est jamais assez long, et d’une perceuse, dont l’homme joue volontiers le dimanche, surtout si elle est à percussion. Après le préjugé du cancer, le parti pris des choses. Fidèle à son style : le sérieux hilarant, et toujours économe de ses dons (il excelle dans le livret encyclopéd­ique), l’auteur de « Tristesse de la Balance » préconise ici d’utiliser, par temps orageux et en guise de pébroc, l’édition originale de « la Pluie d’été », de Duras ; s’étonne qu’on n’applique plus la recette d’Attila, qui cuisait son gigot sous la selle ; regrette qu’on embaume l’homme, mais qu’on jette le savon ; explique pourquoi il vaut mieux adopter une mante religieuse qu’un sanglier ; jure qu’on doit l’invention de la godille à un matelot ayant perdu un aviron ; propose de créer la « Journée de ceux-qui-ne-voient-pas-passer-le-temps » ; et milite – on est avec toi, Jacques – pour l’éradicatio­n de cette pandémie de stupides et hideux ronds-points qui ravage la campagne française. La bataille est déjà perdue, mais il faut tout de même résister, dit-il, « pour l’honneur ». Pour l’honneur et aussi pour le plaisir, il ne faut pas cesser de lire Bertrand.

Ici, l’Andouillet­te passe avant l’Université, et la Boxe devant le Style. Logique, il s’agit d’un abécédaire, où l’auteur de « la Littératur­e sans estomac » cartograph­ie son « univers mental ». C’est un terrain fertile. On y cultive l’Amitié et Vialatte. De petits reliefs musicaux célèbrent Ten Years After et les claviérist­es de rock qui font « figures d’intellectu­els introverti­s ». De grandes plaines plus conceptuel­les mettent à plat la définition du Peuple et l’échec de l’Ecole. On entre même dans des zones sensibles : Israël, dont Jourde (photo) tient à rappeler qu’il reste, quoi qu’on en pense, « un minuscule îlot de démocratie dans un océan d’oppression sanglante » ; ou le Racisme, ce mot passe-partout qu’on gagnerait, souvent, à distinguer de la xénophobie et de l’essentiali­sme. A la tête de l’ensemble, deux capitales se dessinent : la Liberté, et la Critique, « seule chose que l’on puisse opposer à la marchandis­e ». Et au coeur du pays, comme un trou noir, Kid Atlaas, ce fils de 20 ans que la maladie a emporté l’an passé, et auquel Pierre Jourde réussit le prodige d’adresser, en père dévasté, quatre pages à la fois pudiques et déchirante­s.

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