L'Obs

La nouvelle vie d’Arnaud Montebourg

Arnaud Montebourg se fait productif : l’ex-ministre du Redresseme­nt a inversé sa courbe de l’emploi. Il s’est fait embaucher par Hervé Giaoui, le PDG d’Habitat. Et vante sa nouvelle vie de retraité de la politique

- CORINNE BOUCHOUCHI WILLIAM BEAUCARDET

Arnaud Montebourg est « mort de rire ». L’ex-ministre de l’Economie et du Redresseme­nt productif, débarqué brutalemen­t du gouverneme­nt Valls l’été dernier, se délecte chaque matin des petites blagues de Nicolas Canteloup sur Europe 1. Depuis l’annonce de sa nomination à la vice-présidence du conseil de surveillan­ce d’Habitat, le 19 mars, l’humoriste s’en donne à coeur joie. Il décline à l’envi, avec une pointe de grivoiseri­e, les annonces faussement publicitai­res sur le fabricant de meubles français. « Canteloup ? – C’est très drôle ! reconnaît l’ancien ministre, direct. L’Habitat Montebourg, l’Habitat glamour… Moi, ça me fait rire ! Ma blague préférée ? “Du passé faisons table basse” ! »

Au siège d’Habitat, rue du Faubourg-SaintAntoi­ne, à Paris, les « papapapapa­pa » du vieux jingle de Dim annonçant les pubs de Canteloup-Montebourg sont pain bénit pour booster l’image d’une maison qu’on avait perdue de vue ces dix dernières années. Tout le catalogue y passe : les lits à baldaquin ou superposés, les futons « pour les amoureux de la literie », les étagères, le canapé Chester, « au design intemporel »… Finaud, Rémy Poirson, le directeur marketing de l’enseigne, ne s’y trompe pas : « Le 30 mars au matin, j’ai fait livrer à Europe 1 trois coussins. Un pour Sotto, un pour Canteloup, un pour Julie. En rose, jaune et vert. Arnaud a trouvé l’idée super. »

Mais comment Montebourg l’indomptabl­e, le franc-tireur de la politique, en est-il arrivé à se réjouir de son nouveau statut : homme-sandwich d’Habitat ? « Après ma sortie du gouverneme­nt, raconte-t-il, un certain temps s’est écoulé. Puis j’ai pensé à Hervé. Je l’ai appelé et lui ai dit : “J’ai plein d’idées pour cette entreprise.” » Toujours sobre et

nuancé Montebourg… « Hervé » ? C’est Hervé Giaoui, 62 ans, PDG d’Habitat depuis septembre

2011, qu’il avait rencontré l’année dernière. Chemise bleu ciel à fines rayures, cheveux poivre et sel, teint hâlé, bagou irrésistib­le, le sexagénair­e est un as du business au parcours atypique. Hâbleur, fonceur, l’homme n’a peur de rien. Et lorsque l’ancien ministre débarque rue du Faubourg-Saint-Antoine, il flaire vite la bonne a aire : « Montebourg ? C’est lui qui est venu à moi. Et je n’étais plus en face d’un politicien, mais d’un gars qui avait été frustré par la politique et qui avait compris que l’entreprise, c’est de la politique, mais avec des mises en oeuvre concrètes. Il m’a dit que la politique n’était plus son sujet, m’a posé des questions qui tenaient la route. Il avait besoin de bosser. Je me suis dit qu’il y avait un coup à jouer ! »

Pas bien compliqué un entretien d’embauche pour un ancien ministre. Personnage emblématiq­ue d’une autre politique économique, Montebourg s’est fait virer pour être allé trop loin dans sa critique de la ligne du gouverneme­nt. « Il a explosé en vol faute d’avoir pu faire triompher ses idées », résume Hervé Giaoui. Après avoir digéré la « cuvée de redresseme­nt » qu’il avait voulu infliger à François Hollande à la Fête de la Rose de Frangy et qui lui avait valu son éviction, le chantre du made in France, bravache ou acculé, s’est répandu dans la presse en annonçant son intention de rejoindre le monde de l’entreprise. Et de monter sa propre boîte. « Moi, j’aime l’entreprise et c’est une vieille histoire, confie-t-il en moquant implicitem­ent la tirade de Manuel Valls. N’oubliez pas que j’ai travaillé huit ans en libéral. » De fait, lorsqu’il rencontre le patron d’Habitat, l’ancien avocat a besoin de se colleter avec la réalité. Il vient de suivre quatre semaines de formation en management dans une grande école de commerce, l’Insead, et pia e de passer aux travaux pratiques. La relation Montebourg-Giaoui relève à la fois du coup de foudre et d’un échange d’intérêts bien compris. « Je suis l’une des pièces de son échiquier », reconnaît le socialiste. « Arnaud, c’est quelqu’un qui veut réussir, qui a la niaque. On sent qu’il veut montrer ce qu’il sait faire, admet en écho le PDG. Dans le passé, j’ai aidé deux gars qui, comme lui, étaient dans des situations di ciles et avaient besoin de rebondir. Ils avaient la rage et ils ont tous deux bien réussi. J’en ai profité aussi… » Fils d’un banquier tunisien « qui a passé toute sa vie dans la même banque » – « un cauchemar pour moi ! » –, l’homme d’a aires a bâti sa fortune en commençant par faire du porte-à-porte pour vendre des chaînes hi-fi en Guadeloupe. « Ça a été un moment inoubliabl­e. J’achetais moi-même les chaînes hi-fi au Japon pour les vendre aux Antilles. Je n’avais pas d’argent. On les présentait sur photocopie­s. Mais attention, de belles photocopie­s ! » Aujourd’hui, son holding Cafom (Centrale d’Achat Outre-Mer) détient les licences But et Darty dans les DOM-TOM et

“Moi, j’aime l’entreprise et c’est une vieille histoire”

“Je suis une sorte de petit fab lab ambulant”

gère de l’e-commerce, notamment le site de meubles Vente-unique.com. Une machine à cash qui a permis à Hervé Giaoui d’acheter Habitat il y a trois ans. Pas trop cher. 25 millions en tout : 4 millions d’euros pour les actions de la société et 21 millions d’endettemen­t. Pourtant, Habitat, tout le monde connaît. La pépite d’origine britanniqu­e a fait les délices des urbains branchés et des yuppies dans les années 1980 avant de passer sous pavillon suédois – le groupe Ikea – puis d’être revendue au fonds de retourneme­nt Hilco en 2009. Au fil des ans, la société n’a quasiment jamais fait de bénéfices, cherchant sans cesse un modèle économique… « Les gens d’Ikea ont fait le tour de la marque, ils l’ont bien copiée. Puis l’ont revendue à Hilco. Eux, ils ont leurs méthodes ; ils prennent le pognon, et c’est tout. Moi aussi, j’aime le pognon, mais avec l’entreprise qui va avec ! » Quand Hervé Giaoui rachète Habitat, l’enseigne, mal en point, n’est pas moribonde. A l’arrache, le PDG – « qui compte bien vivre cent vingt ans, c’est comme ça dans la Bible, non ? » – entreprend de dépoussiér­er l’enseigne. Il revoit les prix, « trop chers », crée un siège social en France, embauche Pierre Favresse, un jeune styliste de talent, et Rémy Poirson, un ex-d’Arte spécialist­e du multimédia. Il ferme quelques magasins, réaménage les autres, développe l’internatio­nal. Et surtout, il s’o re, déjà, un joli coup de pub en relocalisa­nt une partie de sa production en France : « Quand on a pris Habitat, 3% de nos achats concernaie­nt des produits made in France. Aujourd’hui c’est 12%. On a mis trois ans pour y arriver. Et mon objectif, c’est 30% », vante le patron.

C’est à ce moment-là, début 2014, qu’il rencontre celui qui n’est encore ni un ami ni un collaborat­eur : Arnaud Montebourg. « Quand j’étais ministre, ils ont engagé un processus de relocalisa­tion de certaines collection­s dans la terre cuite, les lampes métallique­s, le linge de maison. Ils m’avaient invité à venir les voir. J’ai apprécié tout ce travail de renaissanc­e, et ce jeune designer, Favresse, qui apporte tant de simplicité et d’élégance… », se remémore le tout nouveau vice-président avec son intonation lyrique. Hervé Giaoui, chef d’entreprise bien ancré à droite – « mis à part un épisode de jeunesse, trotskiste » – se souvient de leur premier déjeuner à Bercy : « On a développé l’idée qu’à partir du design on pouvait relocalise­r la production en France. Tout est dans le coup de crayon. Mon concept du “dessin social” a interpellé le ministre. » Les deux hommes se revoient deux fois. Ils s’apprécient : « J’aime cet homme. Je trouve qu’il a une vision, et qu’il est prêt à toutes les audaces dans un secteur très conformist­e. But, Conforama, c’est “flat”, pas très attirant, non ? » admire Montebourg en bon VRP. « La première fois que je l’ai vu, je me suis dit “c’est quoi ce politicien ?” Mais il m’a impression­né », confie Hervé Giaoui, qui compte bien aujourd’hui utiliser toutes les ressources de son poulain. Et pas seulement jouer de sa notoriété. « Il a un mandat, même s’il n’y a pas de règles sur son temps de travail », précise Hervé Giaoui, qui ne veut pas révéler le montant de la rémunérati­on de l’ancien ministre. Un des rares chi res que le chef d’entreprise refuse de communique­r.

Rue du Faubourg-Saint-Antoine, Arnaud Montebourg n’a pas encore ses habitudes et les employés du magasin, situé sous les bureaux du siège, ne l’ont pas beaucoup croisé : « Il n’est là que depuis deux semaines, il faut lui laisser du temps », répond l’un d’eux près du rayon « abat-jour ». Dans les étages, les collaborat­eurs du groupe ont l’air d’apprécier sa présence : « Les gens sont très sympathiqu­es avec moi. Ils me félicitent d’avoir quitté le gouverneme­nt. Ils sont très encouragea­nts », dit l’ancien ministre. « Il a passé avec moi tout l’après-midi la semaine dernière. C’est quelqu’un de brillant. Il est même assez fort en dessin », commente Pierre Favresse, le très discret directeur artistique. Le design, voilà un mot qui parle à l’oreille du ministre : « C’est un domaine que j’ai lancé avec Aurélie [Filippetti, NDLR] quand j’étais au gouverneme­nt. »

Pour l’heure, le petit nouveau d’Habitat sonde ses collègues parisiens. Demain, il compte entreprend­re un tour de France des magasins en province : « Je rencontre beaucoup de gens qui m’apportent leurs idées. Je suis une sorte de petit fab lab ambulant », clame-t-il pour définir son

nouveau job. Ensuite, il rendra à son patron « un rapport d’étonnement » ! « Vous connaissez ? nous interpelle-t-il. Vous posez plein de questions. Il y a des choses qui vous semblent positives, d’autres moins. »

Une stratégie qui, selon lui, devrait être payante. Il en est sûr, cette enseigne, « où il achetait ses meubles

lorsqu’il était étudiant », a du potentiel. Et ce n’est pas

Hervé Giaoui qui le contredira : « Je suis un éternel confiant, assène le PDG d’Habitat. On a encore du travail, mais je pense qu’on peut monter le chiffre d’affaires à 500 millions, voire 1 milliard ! » Arnaud Montebourg confirme : « Habitat ira loin. Je pense que c’est une marque mondiale qui, dans quelques années, sera au CAC 40, et je suis convaincu qu’Hervé est le leader qu’il lui faut. » Dans les affaires comme en politique, la folie des grandeurs. Chassez le naturel…

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27 AOÛT 2012 Arnaud Montebourg inaugure à Beaune, en compagnie d’Adriana Karembeu, l’extension d’une usine de l’opticien Atol, qui a relocalisé en 2005 une partie de sa production en France. « Dans tout consommate­ur, il y a un chômeur en puissance »,...
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 ??  ?? Hervé Giaoui, le patron d’Habitat, et son tout nouveau vice-président, Arnaud Montebourg, dans le magasin de la rue du Faubourg-Saint-Antoine, à Paris-12e.
Hervé Giaoui, le patron d’Habitat, et son tout nouveau vice-président, Arnaud Montebourg, dans le magasin de la rue du Faubourg-Saint-Antoine, à Paris-12e.
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A peine sortie de l’usine de Flins, la Zoe, le modèle électrique de Renault, a été livrée au ministre (ici avec Carlos Tavares, à l’époque n° 2 du constructe­ur automobile). « C’est l’emblème d’une nouvelle France, celle qui change sa relation avec la...
 ??  ?? 6 AVRIL 2013 Arnaud Montebourg donne un coup de pouce à Blanc des Vosges : il pose à Montmartre avec un drap de 170 mètres de long pour fêter les 170 ans de l’entreprise de textile. « Après les dégâts occasionné­s par la mondialisa­tion déloyale, il y a...
6 AVRIL 2013 Arnaud Montebourg donne un coup de pouce à Blanc des Vosges : il pose à Montmartre avec un drap de 170 mètres de long pour fêter les 170 ans de l’entreprise de textile. « Après les dégâts occasionné­s par la mondialisa­tion déloyale, il y a...

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