L'Obs

La fraternité avant tout

- JEAN DANIEL J. D.

A près les débats qui ont opposé des intellectu­els et des spécialist­es, on tient au moins quelques vérités. D’abord, nous sommes en guerre avec les djihadiste­s, qui se révèlent plus dangereux qu’une armée structurée. Ensuite, nous sommes menacés par le déferlemen­t de migrants, dont l’extrême détresse pose autant de problèmes qu’elle inspire de compassion. Enfin, dans nos banlieues domine un antisémiti­sme sans complexe et qui relève désormais du réflexe.

Sur ces trois points, l’accord se fait assez naturellem­ent entre des participan­ts qui s’opposent souvent violemment sur tous les autres. Sur ces trois points donc, puisqu’il y a accord sur le constat, on devrait avoir la déterminat­ion urgente de trouver au moins une ou plusieurs solutions.

Il y a une chose que les Français ne supportent pas en tout cas, c’est la violence, d’où qu’elle vienne, or elle vient désormais de partout. Mais on se trompe lourdement lorsqu’on laisse penser que le 11 janvier il y ait pu avoir un rassemblem­ent de 4 millions de Français animés par un autre désir que celui de condamner la violence. Le 11 janvier, on n’a pas condamné des musulmans, mais des assassins. On a beau interpréte­r autrement ce sursaut collectif mémorable en lui assignant des intentions politiques ou partisanes, en y cherchant des arrièrepen­sées anti-islamiques ou xénophobes, ou encore en découvrant qu’il y avait peu de pauvres, peu de musulmans et que la France des nantis y était seule représenté­e, il reste que la peur, l’horreur et le refus de la violence ont dominé toutes les réactions.

Reste à s’interroger sur la façon dont un ressentime­nt ou une colère peut se transforme­r en un massacre collectif aussi effroyable que celui que nous avons connu. On peut en venir rapidement à invoquer des considérat­ions économique­s et sociales. Si elles ne sont pas seules à devoir être prises en compte, en tout cas elles sont prioritair­es et devraient faire l’objet d’un plan convaincan­t et d’un engagement solennel. Puisqu’on a localisé le mal et distingué ses racines, alors il n’y a plus d’excuse pour un laxisme quelconque ou une évasion vers d’autres analyses, le plus souvent xénophobes. D’où vient que des jeunes gens puissent se laisser envoûter par l’art de tuer, au point de vouloir aller l’apprendre en Syrie ou dans d’autres déserts ? C’est l’effroyable question à laquelle il faut aussi répondre.

Cela ne supprime pas les problèmes posés par l’islam, mais c’est un fait que de plus en plus nombreux sont les intellectu­els écrivains et artistes de confession musulmane qui prennent parti publiqueme­nt et solennelle­ment en faveur d’une réforme de la lecture des textes sacrés contenant, tout le monde en est d’accord, des incitation­s claires à la violence. C’est vrai pour tous les textes religieux, dans la mesure où l’essence de la religion est totalitair­e. Mais c’est un fait que la lecture du Coran et l’interpréta­tion de certains de ses versets sont savamment manipulées par des partisans de la mort du pécheur et de l’assassinat de l’infidèle. A partir de là, ce qu’il faut étudier, ce sont les conséquenc­es des mesures à prendre. Il est vrai que la population musulmane en arrive à se sentir discriminé­e et ostracisée. On peut d’autant mieux le comprendre que les juifs ont assez souffert de ce qu’on leur attribue la responsabi­lité de tous les malheurs ainsi transformé­s en une malédictio­n.

C’est ainsi, je veux dire en réagissant d’une manière irresponsa­ble au radicalism­e d’une religion, que l’on passe par glissement de la xénophobie au racisme. La solution la plus évidente, la première à mettre en oeuvre parce qu’elle dépend de chacun d’entre nous, c’est d’offrir toute notre sympathie et notre aide aux réformateu­rs et à leur volonté de se faire entendre. Je pense notamment à des gens comme Mohamed Talbi, Abdelmajid Charfi ou Abdennour Bidar. Là aussi, le sujet est délicat car il ne s’agit pas de transforme­r en traîtres ou en renégats les témoins qui auront le courage de se séparer de leurs traditions. Mais enfin, il faut que nous prenions tous, musulmans ou pas, le risque de la réforme en profondeur.

On pourra ensuite se livrer à d’autres considérat­ions sur l’intégratio­n, car le djihadisme n’a évidemment pas pour seul refuge les banlieues de notre pays. Il suffit de se livrer à une revue de presse qui relate tous les affronteme­nts et tous les massacres qui opposent les religions entre elles, notamment dans un monde africain basculé et bousculé par les conflits de proximité ou de frontières. J’ai rapporté sur ce point des témoignage­s de grands penseurs, parmi lesquels Lévi-Strauss : il y a toujours eu un seuil de tolérance au-delà duquel la société s’estime menacée par l’arrivée massive d’étrangers. Tous les articles que je lis et tous les livres que je reçois traitent plus ou moins directemen­t de ces problèmes qui tournent toujours autour de la notion d’étranger. Les chrétiens ont souffert de la domination musulmane avant de devenir eux-mêmes des dominateur­s comme en Andalousie. Les Hongrois n’arrivent pas à considérer les Tziganes comme faisant partie intégrante de leur ambition nationale. Les minorités kurdes, arménienne­s sont persécutée­s et au mieux isolées. Les juifs éthiopiens sont mal acceptés par les Israéliens, et ce n’est pas la coalition chauvine et sectaire du nouveau gouverneme­nt qui apaisera les esprits. Le communauta­risme n’est ni un mal ni un bien : tout dépend des circonstan­ces. Il n’y a pas d’humanité sans religion ni patrie, mais si elles ne sont pas accompagné­es de liberté, d’égalité et oui surtout, de fraternité, alors il n’y a plus d’avenir.

Il y a une chose que les Français ne supportent pas, en tout cas, c’est la violence, d’où qu’elle vienne, or elle vient désormais de partout.

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