L'Obs

La touche manouche

PAR THOMAS DUTRONC (MERCURY).

- SOPHIE DELASSEIN

Il y a un an et des poussières, Thomas Dutronc testait quelques nouvelles chansons sur trois cents curieux attablés au cabaret montmartro­is La Nouvelle Eve. Il les avait glissées entre deux p’tites blagues, une gorgée de vin corse, une reprise de son père (« A toute berzingue ») et une autre du Soldat rose (« le Blues du rose »). Di cile de les prendre au sérieux dans ce contexte. Deux de ces morceaux fraîchemen­t composés, « Allongés dans l’herbe » et « J'me fous de tout », ont pourtant résisté au test : ils figurent au programme de son troisième disque, enregistré depuis à Londres. A la grande loterie du succès, « Eternels jusqu’à demain », c’est son titre, a toutes ses chances. Les éléments qui faisaient le charme et l’intérêt des chansons précédente­s y sont : l’énumératio­n d’expression­s habilement détournées sur des mélodies qui swinguent et vous attrapent. Si on y cherche une certaine nonchalanc­e, les déboires d’un jem’en-foutiste dans une époque de dingue, une tendresse folle, un recul salvateur par rapport aux choses de la vie, on sera comblé. Si on y cherche un peu d’humour, on le trouvera aussi. Par exemple dans « Princesses », cette fausse déclaratio­n d’amour à une véritable emmerdeuse. Du pur Thomas Dutronc, plus rock et avec une touche manouche? Oui et non, du moins pas tout le temps. Le disque réserve aussi des surprises, et ce dès l’ouverture, quand sous le titre « Aragon » il ose une autre mélodie de « Est-ce ainsi que les hommes vivent? », jadis mis en musique par Ferré. Il en faut, du courage, pour s’attaquer à un tel monument de poésie, déjà chanté par Ferré luimême et sa bonne copine Catherine Sauvage, par Montand en son temps et Lavilliers plus récemment. Thomas Dutronc y met une gravité qu’on ne lui connaissai­t pas, sur des arrangemen­ts lyriques et ténébreux qui devraient plaire à sa mère. Un peu plus loin, c’est à Gainsbourg qu’il rend hommage avec « Chez les yé-yé », une vieille chanson qui avait bien besoin de cette injection de Botox. Le disque propose un duo Dutronc père-fils, « Je n’suis personne », deux voix superposée­s, émouvantes, mélancoliq­ues, désabusées aussi, qui parlent d’humilité et prônent la politique du au jour le jour. « J’crois plus au ciel, je passe mon chemin, je suis éternel jusqu’à demain. »

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