Les coulisses d’une réforme piège
Membres du Conseil supérieur des Programmes, ils sont au coeur de la polémique qui secoue l’école. Qui sont-ils ? Comment ont-ils travaillé ? Enquête CAROLINE BRIZARD ET MAËL THIERRY
On a tout entendu à leur propos. Pour le philosophe du déclin français Alain Finkielkraut, ces
« éradicateurs de culture », adeptes d’une novlangue incompréhensible, veulent endoctriner les élèves et transformer « l’école des savoirs en école de la thérapie par le mensonge ». L’ancien ministre de l’Education, Luc Ferry, qualifie leurs travaux de « scandaleux, nuisibles, partisans, ridicules »,
« et je pèse mes mots », précise-t-il. Pour une bonne partie de la droite, ils sont les suppôts de Najat Vallaud-Belkacem. Un repaire d’idéologues et de « pédagogistes » qui voudraient, dans nos manuels scolaires, faire la part belle à l’islam mais passer sous silence la chrétienté et les Lumières. Mettre l’accent sur les périodes sombres de l’histoire de France. Et détruire notre beau « roman national ». Bigre…
Depuis que la guerre scolaire s’est réveillée en France, une instance est devenue l’objet de tous les fantasmes: le Conseil supérieur des Programmes (CSP), chargé d’élaborer les programmes de français, de mathématiques, de sciences ou d’histoire, de la maternelle à la 3e. C’est à ce CSP que Najat VallaudBelkacem vient de demander de plancher sur les langues anciennes pour calmer la grogne des latinistes et des hellénistes, remontés comme des coucous face à ce qu’ils considèrent comme un saccage de leurs disciplines.
Cet organisme n’est pourtant pas à l’origine de la réforme des collèges, des nouvelles modalités d’enseignement du latin ou de la disparition des classes bilangues. Ces mesures-là, elles aussi très décriées, ont été élaborées sous l’égide du ministère (voir encadré). La mission du CSP, créé par la loi de Vincent Peillon sur la refondation de l’école adoptée en 2013, est autre : définir le contenu du socle commun de
connaissances en primaire et au collège. Avec de nouvelles priorités listées par l’ancien ministre dans une lettre de mission : « La formation aux outils numériques, l’éducation à l’environnement, le respect de l’égalité entre les sexes, la valorisation des langues et cultures régionales, la promotion d’une plus grande ouverture sur l’Europe et sur
le monde… ». Le tout jeune CSP détrône l’Inspection générale, à qui revenait jusqu’alors la tâche d’écrire les programmes. Désormais, les rôles sont clarifiés : le premier conçoit les contenus, la seconde évalue la façon dont ils sont appliqués. Deux jeudis par mois, dans les anciens locaux du Centre national d’Enseignement à distance (Cned), à Vanves, ils ont été dix-huit à se retrouver depuis fin 2013. Une assemblée aux profils variés, composée de dix personnalités qualifiées nommées par le ministre: à leur tête, l’ancien président de l’université de Lyon, Michel Lussault, qui a pris le train en marche l’été dernier après la démission surprise de son prédécesseur, entouré d’inspecteurs généraux, d’universitaires, de chercheurs, d’un médecin… Egalement autour de la table, trois députés, trois sénateurs, la vice-présidente d’ATD Quart-Monde et un représentant du mouvement sportif. Ils ont tous un pied dans l’enseignement, un pied en dehors, ce qui garantit au CSP une plus grande ouverture sur la société. Ce sont eux qui, sans toujours imaginer à quel point, ont manié de la nitroglycérine dans une société plus crispée que jamais sur son rapport à l’histoire, aux religions et à l’immigration.
Au coeur de la polémique, l’enseignement de l’histoire au collège. Comme pour les autres matières, il a été discuté au sein du CSP à plusieurs niveaux à partir de septembre 2014. D’abord au sein des groupes organisés par cycles (CP-CE1-CE2, CM1-CM2-6e, et 5e-4e-3e) pour définir des objectifs communs, « ce qui
ne s’était jamais fait jusqu’à présent », pointe Michel Lussault. Puis, à partir de novembre dernier, des experts ont été chargés de rédiger les programmes discipline par discipline. Celui d’histoire-géo était dirigé par Cristhine Lécureux, une inspectrice pédagogique régionale d’histoire-géographie de l’académie d’Orléans-Tours. Puis les 18 membres en ont débattu entre eux en réunion ou par échange de mails. Dans ce genre d’assemblée, pas d’éclats de voix et une méthode, le consensus. « Certains membres du CSP, dont moi, auraient préféré une approche plus globale de l’histoire,
reconnaît Michel Lussault. Nous avons finalement opté pour un déroulement chronologique, centré sur la France. » Pas assez pour certains, visiblement. En 5e, par exemple, selon les détracteurs du CSP, l’enseignement de l’islam serait obligatoire quand celui de la chrétienté serait devenu facultatif. « C’est un montage de toutes pièces. Ceux qui disent ça ont lu la page 5 et pas la page 6 », s’énerve l’une des membres du CSP, la sénatrice écolo Marie-Christine Blandin. D’une part, les élèves auront déjà étudié l’apparition de la chrétienté en 6e et, d’autre part, ils l’étudieront forcément en 5e au chapitre « Société, Eglise et pouvoir politique dans l’Occident chrétien, xie-xve siècles ». En 4e, un autre abcès de fixation est l’affaire du siècle des Lumières, qui ne serait plus qu’en option quand la traite négrière deviendrait obligatoire. Là encore, c’est faux, défendent les rédacteurs des textes : « La Révolution française et l’Empire restent un sujet obligatoire, or