Ecrivains de jardin
PAR EVELYNE BLOCH-DANO, STOCK, 250 P., 19,50 EUROS.
Aujourd’hui, à l’exception des parcelles où pousse le cannabis, on ne trouve plus guère de jardins dans la littérature. Nos écrivains français, qui ont également cessé, quel dommage, d’être des paysagistes, n’ont pas la main verte. Trop occupés à décrire la jungle des villes, ils sont bien incapables de faire la di érence entre un chêne et un châtaignier, un bégonia et un hortensia, de la ciboulette et du basilic. Sauf dans les livres colorés et odoriférants d’un Jean-Loup Trassard, d’un JeanPierre Otte ou d’un Eric Holder, le roman contemporain a grise mine et sent le renfermé. Pour mesurer ce que l’esprit et la prose ont perdu à délaisser les vergers et abandonner les potagers, il faut lire l’essai anthologique d’Evelyne Bloch-Dano. Biographe de Mmes Zola, Sand et Proust, visiteuse des maisons d’écrivains et historienne des légumes, elle est allée vérifier, dans sa bibliothèque et sur les sentiers de France, le bien-fondé de sa théorie : le jardin n’est pas seulement réconfortant, il est aussi inspirant. Elle s’est promenée aux Charmettes, où Jean-Jacques Rousseau, en sueur, botanisait, bêchait, plantait et cueillait. Elle a médité dans le parc de Nohant, où George Sand, un arrosoir dans une main, un râteau dans l’autre, s’exerçait à ramasser les plantes « sans les faire souffrir » et rêvait, mieux qu’ailleurs, à son prochain roman, à sa nouvelle comédie. Elle a évidemment suivi à la trace la grande Colette, princesse des « Vrilles de la vigne » et du « Blé en herbe », depuis son Saint-Sauveur natal jusqu’aux jardins du Palais-Royal de la fin, dans tous les lieux où elle a gratté la terre, Bretagne, Corrèze, Provence – Colette qui prétendait préférer son sécateur à son stylo. Même quand elle lit, on croirait qu’Evelyne Bloch-Dano musarde, nez au vent. Elle étudie ainsi la flore tourangelle dans « le Lys dans la vallée », de Balzac, caresse de vieux arbres limousins dans les Mémoires de Simone de Beauvoir, arpente les terrains vagues et les jardins parisiens dans les romans de Modiano, et, grâce aux mélèzes, aux cerisiers, aux rosiers, se réconcilie avec Marguerite Duras, qu’elle n’aimait pas. Bref, elle juge, avec l’asthmatique Proust, que le jardin d’agrément est le meilleur réservoir de souvenirs et, avec l’horticulteur Gide, qu’il est la meilleure école de la vie. (Elle regrette au passage que Sartre, allergique à la chlorophylle, ait « poussé hors sol »). Même si Le Nôtre nous légua ses oeuvres florales, mais négligea de laisser un traité, elle montre surtout combien l’art d’écrire emprunte à celui de tailler, de tuteurer, de marcotter, de bouturer et d’ouvrir de larges perspectives. Par où le lecteur s’évade.