L'Obs

Chevaux d’ange

PAR BARTABAS. DU 8 JUIN AU 18 JUILLET, LES NUITS DE FOURVIÈRE, PARC DE PARILLY, LYON, RENS. : 04-72-32-00-00.

- JÉRÔME GARCIN

« L’homme, écrivait Pascal, n’est ni ange ni bête. » En e et, il est les deux à la fois. Surtout si l’homme est un centaure, et la bête, un cheval. Convaincu depuis son plus jeune âge que monter vous met à égale distance de la terre et du ciel, attiré de plus en plus par la lumière du sacré et la liturgie universell­e du pia er (il l’a récemment célébrée, avec un danseur de flamenco, dans « Golgota »), Bartabas dédie le treizième opus de son théâtre Zingaro aux ministres ailés, aux messagers jou us de Dieu : les anges, qui avaient raison d’être patients. Car ce spectacle est magnifique. Dans un espace totalement bouleversé (aux deux pistes circulaire­s de « Calacas » succède un sombre et profond cratère ouvert sur l’empyrée) et pour un temps inédit (plus de deux heures au lieu des habituelle­s quatre-vingtdix minutes), Bartabas, qui a teint en rouge ses rouflaquet­tes, se réinvente et retrouve une nouvelle jeunesse. Lui qui avait presque cessé de monter dans les spectacles de Zingaro n’a jamais été autant en selle – et avec une grâce séraphique, rythmée par les chansons mélancoliq­ues et la voix rauque de Tom Waits. Tout un symbole : sous le chapiteau où résonnaien­t jusqu’alors les fanfares tsiganes, le pansori coréen, les trompettes tibétaines, les cordes de Stravinsky ou la clarinette de Boulez, le vieux bluesman américain semble entretenir avec l’écuyer franco-gitan, à cheval sur Caravage, Soutine ou le Tintoret, une conversati­on secrète, pleine de regrets inavoués. Un ange passe, on frissonne. Les anges, venons-y. Qu’ils soient bibliques, hébraïques ou coraniques, ils sont ici à la fête. Au début du spectacle, huit d’entre eux descendent du ciel directemen­t sur leurs chevaux, qu’ils enfourchen­t à cru. Et, à la fin, ils remontent au ciel sur un nuage, au son du « Banquet céleste » d’Olivier Messiaen. Entre ces deux moments, d’une beauté visuelle à couper le sou e, on voit des acrobates e ectuer, au sens propre, des sauts de l’ange, un couple de fildeféris­tes danser au-dessus d’un troupeau d’argentins, des cavaliers voltiger sous la neige et dans la mousse, des femmes se déplacer en burqa et sur des échasses, Bartabas soudain aveugle mener, au milieu des croix, le petit Zurbaran aux longues rênes, et des clowns musiciens de toutes tailles tourner autour du cratère où glougloute­nt des dindons et se mordillent des chevaux en liberté. Des anges gardiens protègent ce spectacle aussi charnel que spirituel, où le temps est aboli. Et nous, on est aux anges.

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