L'Obs

L’irrésistib­le Xavier Gallais

ET D’EDWARD ALBEE, MISE EN SCÈNE DE GILBERT DÉSVEAUX. JUSQU’AU 28 JUIN, 20H30, THÉÂTRE DU ROND-POINT, PARIS-8E, RENS. : 01-44-95-98-21.

- JACQUES NERSON

Rares sont les spectacles qui laissent partagé entre des sentiments aussi contraires. Il est vrai que celuici se compose de deux textes di érents. Primo, l’une des plus célèbres pièces d’Edward Albee, « Zoo Story » (ici rebaptisée « le Zoo » par Jean-Marie Besset, qui aime à doter ses traduction­s de titres de sa façon). Secundo, « la Maison ». Alors que « le Zoo » (1958) décrit la rencontre de Peter et Jerry sur un banc de Central Park, « la Maison », créé un demi-siècle plus tard, relate la conversati­on qui a lieu entre le même Peter et son épouse, Ann, juste avant qu’il ne parte en promenade. Comme celui de Pinter, le théâtre d’Albee est un théâtre de la menace. Menace à l’américaine, moins feutrée que l’anglaise. Nul n’a oublié la violence de l’immense scène de ménage de George et Martha dans « Qui a peur de Virginia Woolf ? ». « La Maison » aussi est une scène de ménage, mais on en comprend mal l’enjeu. Ce qu’Ann reproche à son mari ? Sa douceur, sa tendresse, le respect qu’il lui témoigne. Elle voudrait que l’ange démuselle la bête, réveille le cochon qui sommeille en lui. En fait, Ann est heureuse en ménage. Or, chez certaines gens, le bonheur est le début de l’ennui. Aussi bien, on n’arrive pas à la plaindre. C’est un peu de la faute du metteur en scène, Gilbert Désveaux, qui de bout en bout enferme Fabienne Périneau dans la maussaderi­e, alors qu’Ann n’est pas tout à fait sans humour. Au bout d’une heure, alors qu’on se rasait doucetteme­nt, on va se balader dans le jardin public. D’un fourré surgit Jerry, autrement dit Xavier Gallais, qui triomphait encore voici quelques jours dans « le Prince de Hombourg ». Dès lors, plus question de bâiller. Pourtant le rôle est cassegueul­e. On verse vite dans le cliché quand on représente les détraqués, avec leurs éternels tics nerveux. Séduisant et répugnant, caressant et dangereux, Xavier Gallais déjoue le piège du pittoresqu­e. Il fascine Peter (et le spectateur) comme le serpent fascine sa proie. Son ascendant est irrésistib­le. On conseiller­ait volontiers de renoncer à la visite de « la Maison » pour se rendre directemen­t au « Zoo », mais il n’y a pas d’entracte. Pas moyen d’entrer en douce. Xavier Gallais, acteur d’exception, mérite de prendre son mal en patience.

Newspapers in French

Newspapers from France