L'Obs

Un pingouin allait trottinant

Où l’on voit que ce n’est pas toujours si simple

- D. D. T.

La Géorgie connaît des jours tourmentés, ses relations avec la Russie sa voisine ne sont pas toujours sereines mais ce qui est encore le moins serein, en Géorgie, c’est le cours de la rivière Vere, qui traverse sa capitale, Tbilissi. Le zoo la borde. On peut dire : la bordait. Car la Vere a débordé et dévasté le zoo. Le lecteur a sans doute eu l’occasion de voir des images de l’hippopotam­e perdu dans les rues de la ville et que des hommes courageux, mais pas téméraires, munis de bâtons de fortune, tentaient de conduire vers un abri où l’enfermer pour qu’il ne fasse plus peur aux passants. Passants rares, d’ailleurs, la population ayant été invitée à rester chez elle puisque c’est l’ensemble des pensionnai­res du zoo, surpris par l’invasion des eaux, qui avait pris la clé des champs à la constatati­on que les barrières, derrière lesquelles ils étaient enclos, ne mettaient plus obstacle à leur soif de liberté. Cochons, couvées, léopards, zèbres, singes et perroquets, ils sont gentils les perroquets, sauf quand ils disent des bêtises ou vous attaquent avec leur bec, hyènes, qu’est-ce qu’elles sont méchantes, celleslà, se sont promenés de même dans Tbilissi, faisant connaissan­ce avec l’habitat de leurs visiteurs du dimanche, et aussi de ceux de la semaine où le prix d’entrée est moins élevé. Un ouvrier de la voirie, qui avait relevé ses manches pour balayer les dépôts que la rivière avait laissés derrière elle après s’être avancée trop avant, ouvrant le cabanon dans lequel sont rangés d’habitude balais, râteaux et autres serpillièr­es, a eu la surprise, si le fauve lui a laissé le temps d’être surpris, de voir un tigre blanc mettre fin à sa carrière en sautant sur lui. La police a eu tôt fait d’abattre ce tigre. Elle abattit aussi un lion. Elle abattit toutes sortes d’animaux, ce n’est pas tous les jours que ses tireurs d’élite sont à pareille fête, il se raconte que la moitié des bêtes du zoo ont péri sous ses tirs nourris. Elle n’abattit pas d’êtres humains, ou alors on nous l’a caché, une vingtaine d’entre eux cependant sont morts, n’ayant pu résister aux flots soudain tumultueux, quand bien même savaient-ils nager. N’ont pas résisté davantage des dizaines d’immeubles et de maisons. Il faut parler d’un pingouin. Pensionnai­re d’un zoo de Torquay, sur les côtes britanniqu­es, il avait été transféré à Tbilissi au terme de tractation­s dont on l’avait tenu étranger, du moins avait-il ainsi, peut-être, pris goût à voyager, toujours est-il qu’il a quitté la métropole géorgienne pour gagner la campagne, suivre ses routes, prendre ses chemins, traverser ses bois et ses prés, son passage a été en maints endroits signalé. Puis il a disparu. Les battues ont fini bredouille­s et c’est alors qu’il a été vu passant sous un pont, lequel marque la séparation entre la Géorgie et l’Azerbaïdja­n. L’y aller chercher serait s’exposer aux tirs de la police azerbaïdja­naise, ajouter aux troubles dans cette région dont il a été dit au début de cette chronique qu’elle en était la proie. Cours, fier pingouin, cours, et rencontre une ferme accueillan­te où tu seras la mascotte de bons petits enfants. Pendant ce temps, tes dix-sept frères pingouins du zoo de Tbilissi, repris pas leurs gardiens, chanteront ton destin dans un nouveau zoo qu’on envisage de bâtir, loin des eaux de la Vere, cette fois, très loin et si possible sur une hauteur, hein ?

Foin de ce futur idyllique : suppositio­n, au contraire, que les gardes-frontières d’Azerbaïdja­n se saisissent de notre pingouin. Il aurait par exemple fait demi-tour, attiré par le souvenir d’une compagne restée à Tbilissi, qu’il aurait oublié de prévenir de son départ, ou bien il aurait trouvé un chouette coin pour un pingouin et voudrait le partager avec les autres, et puis donc les Azerbaïdja­nais, le découvrant sans passeport ni visa de sortie, l’animal ayant aggravé son cas par d’abord l’absence d’un visa d’entrée, l’auraient écroué. Les Géorgiens de l’apprendre. Notre pingouin ! Rendez-nous notre pingouin. Votre pingouin ? Prouvezle. Hélas ! Tous les papiers témoignant de son identité auront disparu dans l’inondation. L’ONU serait saisie. Son Conseil de Sécurité voudrait contraindr­e l’Azerbaïdja­n à rendre le pingouin mais la Russie (merde à Poutine) d’opposer son veto. C’est la guerre. Pour un pingouin. Bof, ça nous changera des sunnites contre les chiites.

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