Les avancées de la techno-médecine donnent tout de même l’espoir de tenir en échec des affections aujourd’hui mortelles comme le cancer. Jusqu’où la science fera-t-elle reculer l’âge de la mort ?
Je ne crois pas du tout sérieux de promettre l’immortalité, mais il n’est pas exclu que, d’ici quarante à cinquante ans, on comprenne le mécanisme de l’« apoptose », le suicide cellulaire. On pourrait alors considérablement ralentir le phénomène de vieillissement. Cela dit, je ne me risquerai pas à prédire, comme Laurent Alexandre, que certains d’entre nous vivront plus de cent cinquante ans ! Quelles questions éthiques posent ces progrès scientifiques ? L’aspect le plus inédit est la possibilité d’éditer facilement l’ADN du vivant, c’està-dire de supprimer des gènes déficients ou de les remplacer par d’autres. On corrige déjà couramment le génome des plantes et des animaux. On peut, en théorie, manipuler aussi celui de l’homme ! La porte ouverte donc à des bébés génétiquement modifiés. Des chercheurs chinois ont par exemple réussi à supprimer, sur des embryons humains surnuméraires, le gène responsable de la bêta-thalassémie [une maladie génétique de l’hémoglobine, NDLR]. Ils ont travaillé, à titre expérimental, sur des embryons non viables. Sur le plan de l’éthique, nous sommes à un moment unique de notre histoire. Car, en manipulant le génome de cellules reproductrices et d’embryons unicellulaires, nous pouvons modifier le génome humain des générations suivantes. Nous pouvons donc changer l’espèce humaine ! Pour la première fois dans l’histoire du vivant, une créature sera capable de revenir sur sa création. Y a-t-il pour vous une ligne rouge à ne pas franchir dans ce bricolage génétique ? C’est ce que je pensais, mais je suis devenu plus nuancé. Parce que personne ne peut dire non à l’espoir de guérir ou de sauver un proche. Et si les technologies médicales sont sûres, je ne vois pas de raison morale d’interdire a priori telle ou telle amélioration de l’espèce humaine. Par exemple en éradiquant, au stade embryonnaire, certaines maladies héréditaires mortelles comme les myopathies ou la mucoviscidose. Mais ces progrès ne seront bons pour l’humanité que si tout le monde y accède. Malheureusement, ces Certains pensent qu’il est moralement acceptable d’utiliser la technologie pour « réparer » l’humain, mais pas pour augmenter ses capacités… Je ne vois pas pourquoi on fixerait des limites arbitraires à ces transformations. Et il est assez illusoire de séparer les techniques qui « réparent » de celles qui « améliorent ». Si on arrive à faire une corrélation, par exemple, entre une certaine configuration génétique et une intelligence mathématique supérieure, pourquoi n’augmenterait-on pas l’intelligence moyenne de la population, surtout si les pays voisins le font ? Mais il faut que ces avancées soient disponibles pour tous. D’où la nécessité de créer une autorité mondiale de bioéthique, où se mènent ce genre de débats. Pourquoi le fait-on pour le réchauffement planétaire et pas pour des questions qui engagent le monde de nos enfants et, à terme, notre civilisation ? N’est-il pas illusoire de penser que tous les pays partagent les mêmes valeurs ? On voit déjà, au sein de chaque nation, s’opposer transhumanistes et bioconservateurs… C’est une difficulté, mais cela ne justifie pas que les responsables politiques fassent l’impasse sur ces questions. Il est urgent de mettre sur pied, partout en France, de véritables états généraux de la bioéthique. Hélas, les décideurs ne semblent bouger que par peur, après une catastrophe ou une percée scientifique spectaculaire. Souvenez-vous : François Mitterrand a créé notre premier Comité consultatif national d’Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé en 1983, au lendemain de l’annonce du premier « bébé-éprouvette » français… Il semble pourtant urgent de réfléchir à la prise en charge de ces coûteuses thérapies. Craignez-vous une dérive vers un système de santé à deux vitesses ? En effet, je ne partage pas l’optimisme de ceux qui affirment que le coût des traitements suivra celui du séquençage génomique, divisé par 3 millions en dix ans. Les thérapies les plus avancées coûtent très cher. D’autant que les labos innovants se concentrent sur les médicaments et les pathologies les plus lucratifs… Mais cela va empirer avec l’essor imminent de la médecine prédictive. Les gens vont réclamer l’accès à leur séquençage génétique, qui permettra d’établir des probabilités, pour un individu donné, de contracter 300 maladies, dans un avenir plus ou moins proche. Par exemple, une personne qui saura qu’elle a 80% de risque d’infarctus après 45 ans coûtera très cher en coronarographies, voire demain en thérapie cellulaire régénératrice. A contrario, les gens à faible risque exigeront de payer moins cher leur assurance-maladie. Certaines personnes en bonne santé seront même tentées de s’exiler, pour ne plus financer la solidarité avec les profils à risque. Après les paradis fiscaux, les « paradis transhumanistes » ? C’est un vrai danger. Demain, rien n’empêchera un milliardaire de se payer une rétine artificielle à plusieurs millions de pixels contre 1 million pour un oeil normal, pour disposer d’une vision améliorée, en très haute définition. Ou bien une audition hors du commun, ou des connexions cognitives ultrarapides. Si l’on applique ce raisonnement à une amélioration génétique transmissible, on risque d’aboutir à la création de plusieurs espèces humaines divergentes ! Une vraie catastrophe… Quand passe-t-on de l’humain au post-humain ? C’est une question d’ordre philosophique. Je pense que c’est quand on franchit la frontière de l’hybridation entre l’homme et la machine, ou celle de la modification du génome reproductif. Mais alors, avec l’implantation du coeur artificiel Carmat… Oui, on y est déjà !