L'Obs

Qu’est-ce qui fait rouler Pepy ?

Guillaume Pepy sera nommé président du directoire du nouveau groupe SNCF à la mi-juillet. Heureux ? Lucide surtout. “Cheminot” depuis vingt-cinq ans, il se dit vacciné contre toute forme d’optimisme

- DENIS DEMONPION WILLIAM BEAUCARDET

Sa carrière s’est faite sur un coup de dés. « Je n’ai pas joué au train électrique quand j’étais petit, je ne suis pas d’une famille de cheminot, je ne suis ni polytechni­cien

ni ingénieur », sourit Guillaume Pepy. Voilà pourtant plus de vingt-cinq ans qu’il est attaché à la SNCF. Et il est prêt à rempiler. Nommé à sa tête en 2008 par Nicolas Sarkozy, renouvelé par François Hollande en 2013, il sera bientôt confirmé à la direction d’une nouvelle entité qui réunifie, à compter du 1er juillet, le transport de voyageurs et l’entretien du réseau ferroviair­e. Il sera épaulé par Frédéric Saint-Geours au conseil de surveillan­ce et par Jacques Rapoport, délégué au réseau. Le vrai patron, c’est lui. « C’est une reconnaiss­ance de la fidélité à la SNCF. A un moment donné, ils se sont peut-être dit : c’est le patron qu’il faut », confie-t-il, sans fausse modestie. Il est entré à la SNCF un peu par hasard, après avoir croisé dans la rue son patron, Jacques Fournier, une figure de la mitterrand­ie, quand, jeune énarque, il cherchait sa voie au Conseil d’Etat. Il insiste : il n’a jamais été affilié à aucun parti politique. « A Sciences-Po, il était de gauche, très tolérant, pas le genre à se laisser enrégiment­er », témoigne un de ses « très bons copains ». « Il a toujours été social-démocrate, réformateu­r », ajoute la députée européenne PS Pervenche Berès, une amie d’adolescenc­e.

En costume classique lorsqu’il sort de l’Elysée, un pin’s SNCF à la boutonnièr­e, ou en doudoune noire Uniqlo quand, sur le terrain, il se frotte aux cheminots, Guillaume Pepy serait-il un adepte du grand écart ? A la fois Sarko-compatible et toujours en bons termes

avec Martine Aubry, l’homme sait naviguer. Il le faut quand on dirige une entreprise de 260 000 salariés et qu’on a sur le dos à la fois les syndicats, les ministères, les élus et les usagers. « Il réussit à mener sa barque en canalisant les pressions diverses », observe un dirigeant

de l’entreprise. « Dans ce métier, il y a énormément de

stress », affirme le patron de la SNCF. D’où les problèmes d’arythmie cardiaque qui l’ont mis à plat pendant deux mois, en février et mars derniers. « Ça m’a foutu un coup au moral, reconnaît-il, l’impression soudain d’avoir 70 balais. » Il en a 57. Un séjour à l’hôpital, les médecins ont fait ce qu’il fallait, et il est reparti. A 200 à l’heure comme un Zébulon. Ses collaborat­eurs ont parfois du mal à le suivre. « Son principal défaut, c’est qu’il dégaine hyper vite,

confesse l’un d’eux sous couvert d’anonymat. Il a une

tendance à surjouer l’action. » Comme par crainte d’un retour à l’inertie légendaire de la société des chemins de fer. « La SNCF, c’est 24 heures sur 24. C’est une drogue

dure ! » lâche Pepy qui connaît bien les codes de la communicat­ion. C’était le thème d’un cours qu’il dispensait à Sciences-Po au mitan des années 1980, avec Philippe Wahl, l’actuel patron de La Poste, un ancien condiscipl­e de l’ENA.

Le stress ne l’a pas complèteme­nt quitté. Un appel en pleine nuit pour un accident, une panne, un cheminot qui se blesse, un mouvement de grève, et il a à chaque fois l’impression que « la cabane est tombée sur

le chien ». Avec le temps, l’expérience aidant, il a toutefois appris à prendre du recul, faisant sienne la formule de Louis Gallois, son lointain prédécesse­ur (de 1996 à 2006) et modèle. « Dix ans à la SNCF, cela vous guérit de toute forme d’optimisme », disait l’actuel président du conseil de surveillan­ce de PSA Peugeot Citroën. Guillaume Pepy a retenu la leçon et a beaucoup appris de lui, malgré deux styles différents.

« Il faut avoir les nerfs solides et le cuir épais », admet Guillaume Pepy. « Je me suis endurci… »

Pudique, il préfère embrayer illico sur la réforme ferroviair­e, engagée en 2011 par Nathalie KosciuskoM­orizet, alors ministre des Transports, puis adoptée en 2014 pour devenir effective au 1er juillet 2015. De quoi s’agit-il ? De mettre l’entreprise sur les rails du futur pour faire face à l’évolution de la société et du marché, à savoir le développem­ent des moyens de transport alternatif­s comme le covoiturag­e et la préparatio­n, à l’horizon 2019, de l’ouverture à la concurrenc­e du transport domestique des passagers imposée par Bruxelles. Celle-ci est déjà en vigueur pour le fret depuis 2006. Et elle joue également depuis 2010 dans le transport internatio­nal des voyageurs, un domaine qui occupe 20% du temps de Guillaume Pepy.

La première étape de cette réforme a consisté à réunifier en une seule entité l’opérateur, Réseau ferré de France (RFF), chargé de la constructi­on et de l’entretien des voies, et le transporte­ur, la SNCF, chargé des passagers. La dichotomie entre les deux sociétés avait été opérée en 1997. A l’époque, la montagne de dettes avait échoué dans l’escarcelle de RFF, donnant à la SNCF un appel d’air considérab­le qui a permis le développem­ent du TGV. Cela au détriment de la rénovation et de l’entretien du réseau existant pour les Corail et autre Transport express Régional (TER). Comme quoi, même l’histoire du rail est un éternel recommence­ment… Dix ans d’investisse­ments seront nécessaire­s pour rénover le parc ferroviair­e. « Car on

avait pris un énorme retard », admet Guillaume Pepy. Sur tout ce qui touche à la SNCF, son patron se montre intarissab­le. En revanche, à la question « Qui êtes-vous, Guillaume Pepy ? », l’intéressé oppose le silence. « C’est une lourde question », soupire-t-il. Nouveau silence. « Ma vie profession­nelle, esquive-t-il, c’est la SNCF, une entreprise que j’aime parce qu’elle est en révolution permanente. » N’avait-il pas pourtant envie de respirer un autre air, lui qu’on a dit intéressé par la

direction d’Air France ? « A chaque fois qu’un poste se libère à la tête d’une entreprise publique, on me l’attribue », glisse-t-il. A-t-il les coudées franches en tant que chef du transport ferroviair­e ? « Il ne revient pas au

patron de décider lui-même de l’avenir de la SNCF. » Les choix politiques qui sont faits peuvent lui déplaire, il peut en discuter, les contester, les freiner, peut-être, mais pas les empêcher. Finalement, c’est toujours l’actionnair­e qui tranche. « La loi nous met les bus en travers des rails », lâche-t-il, une allusion à la loi Macron qui, au nom de la croissance économique, entend libéralise­r le transport en autocar, moins cher que le train ou l’avion. Le ministre de l’Economie, Emmanuel Macron, aurait pris cette dispositio­n sans le consulter. Le patron de la SNCF aurait-il perdu de son entregent ?

Peut-être, mais il a conservé cette réactivité que ses condiscipl­es avaient déjà remarquée à Sciences-Po et à l’ENA. Guillaume Pepy a d’ores et déjà prévu de développer son propre réseau de cars, iDBUS : « Il va falloir

s’adapter. » Sinon, la SNCF verra ses parts de marché s’amoindrir, le covoiturag­e en ayant déjà grignoté à3 à 4% en l’espace de quelques mois. Un phénomène identique s’est produit en Allemagne après la libéralisa­tion des autocars en 2013. « La SNCF n’est ni bête ni masochiste », réplique Guillaume Pepy. Il entend donc faire en sorte que le train soit plus compétitif et offre un meilleur rapport qualité/prix. Un défi qui ne va pas sans mal quand on sait l’inconfort de certains wagons, les retards, la cherté de la restaurati­on à bord.

On l’aura compris, la SNCF, c’est sa vie. Et ce n’était vraiment pas écrit. Le « Who’s Who » indique que Guillaume Pepy est né à Neuilly-sur-Seine, d’un père avocat et d’une mère fonctionna­ire au ministère de la Culture. Ses parents étaient des bourgeois de gauche, sa mère, militante socialiste, une lectrice fidèle de « l’Obs », depuis l’époque de « France Observateu­r ». Il a grandi dans le 14e arrondisse­ment de Paris. L’enfance s’est déroulée « sans aspérités particuliè­res ». Depuis sa première Mobylette reçue à 14 ans – une 101 Peugeot qu’il montait chaque soir dans sa chambre par l’escalier –, il a gardé un goût pour les deux-roues qui lui donnent un sentiment de « liberté absolue ». Le moyen de locomotion qu’il préfère aujourd’hui encore, c’est le scooter avec lequel il slalome dans les rues de Paris. Rapide, il lui permet de se faufiler, d’avancer.

Le dictionnai­re biographiq­ue des gens en vue ne précise pas qu’il a eu les cheveux longs et la barbe, à l’époque où il écoutait les tubes de Santana et de Procol Harum. Aujourd’hui encore, il se déplace pour un concert de Rihanna ou Beyoncé. Les chansons de Véronique Sanson, Julien Clerc, France Gall, Michel Berger l’ont accompagné à l’adolescenc­e et un peu après. Contrairem­ent aux autres grands patrons, il va rarement à l’Opéra et ne cherche pas à passer pour l’intellectu­el qu’il n’est pas. Il aime le bricolage et l’Egypte, beaucoup, un pays qu’il a souvent visité.

Guillaume Pepy a aussi conservé de ses années d’étudiant l’habitude de remplir des carnets de notes d’une écriture claire et lisible avec des crayons de différente­s couleurs. A la SNCF, il en est à son 75e. « C’est un moyen inégalé de concentrat­ion dans les réunions »,

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Photo de classe. Guillaume Pepy en première (cercle rouge). Avec Clément Marty devenu Bartabas (4e à partir de la droite). Et Pervenche Berès, députée européenne PS (au premier rang, 2e à partir de la droite).

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