L'Obs

Pour quelles raisons avez-vous décidé que les migrants seraient originaire­s du Sri Lanka ?

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Je souhaitais qu’ils n’aient aucun lien avec l’exEmpire colonial français, aucun rapport avec la francophon­ie, pour éviter d’avoir à traiter de conflits qui, en l’espèce, ne m’intéressai­ent pas. C’est Noé [Noé Debré, coscénaris­te du film avec Thomas Bidegain et Jacques Audiard] qui a eu l’idée du Sri Lanka. Et s’ils venaient du Sri Lanka, ils fuyaient la guerre, ils sortaient d’un enfer. Le personnage est alors devenu un guerrier, très loin du prof de maths que jouait Dustin Hoffman dans « les Chiens de paille », et j’ai eu envie des scènes entre la jeune femme et le caïd, qui à l’origine était décrit comme un grand Black et que joue Vincent Rottiers. Dans le scénario, ces scènes étaient tout juste esquissées. Je ne parle pas le tamoul, ensemble nous essayions de parler anglais, mais ces acteurs-là ne sont pas comme nous, leur relation à la pudeur, à l’ironie, leur rapport au temps, le rythme de leurs déplacemen­ts, tout est différent. Avec eux, j’ai dû renoncer à découper les scènes, il fallait leur donner du temps, respecter leurs rythmes. Chaque matin, pendant le tournage, l’idée que j’allais les retrouver m’enthousias­mait. Ce sont eux qui ont fait que le film a changé de genre : ce n’était plus une histoire de vigilante, l’histoire d’un type qui décide de faire régner l’ordre sur une zone de non-droit, mais celle de gens qui tentent de s’adapter, qui veulent s’intégrer. Avant cette transforma­tion, j’étais tout près de renoncer au film, mais quand c’est devenu une histoire d’amour, j’en ai eu envie de nouveau : c’est quand l’amour naît entre Dheepan et Yalini [Kalieaswar­i Srinivasan, comédienne de théâtre venue de Chennai, en Inde], cet amour auquel lui-même avait renoncé, que le personnage bascule et entreprend de créer dans la cité une zone pacifique, pour protéger la femme et la petite fille que, peu à peu, et contre toute attente, il finit par considérer comme siennes. Cela dit, la fillette, est probableme­nt celle qui, des trois, fait le plus grand parcours. L’histoire personnell­e d’Antonythas­an Jesuthasan, qui incarne Dheepan, est proche de celle de son personnage. Cela a-t-il compté ? J’ignorais tout de cette histoire quand je l’ai choisi pour être Dheepan. Je ne savais pas qu’Antonythas­an avait été un enfant-soldat, enrôlé à 16 ans dans les rangs des Tigres tamouls, qui a combattu avec

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