L'Obs

UN BERLUSCONI AMÉRICAIN

“Le moment que nous vivons rappelle les pires heures des années 1930”, estime Sam Goldman, professeur à l’université Georgetown, à Washington

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Comment expliquer le phénomène Trump ? Il se nourrit en partie du mécontente­ment que l’on constate dans le monde entier, à l’égard des partis politiques et des institutio­ns – ce sentiment qu’ils sont corrompus, qu’ils ont trahi le peuple et que nous avons besoin de leaders di érents. Mais cette insatisfac­tion, bien entendu, s’exprime avec des particular­ismes locaux.

A quoi ressemble la version « made in USA » ? Beaucoup de sympathisa­nts de Trump rêvent de l’Amérique dont ils se souviennen­t, une Amérique de communauté­s et de consensus que Trump promet de rétablir. Je ne crois pas qu’ils soient stupides, ils savent que l’Amérique de Reagan ne reviendra pas, encore moins celle d’Eisenhower. Mais les changement­s qu’ils déplorent sont bien réels. Pour ses supporters, la situation est franchemen­t mauvaise : les Blancs américains, en particulie­r les hommes qui n’ont pas d’éducation supérieure et encore plus ceux qui habitent la Rust Belt, cette ceinture d’Etats manufactur­iers du Nord-Est et du Middle West, ont vu leur situation empirer depuis trente à quarante ans. Ces fans de Trump ont le sentiment d’avoir respecté les règles du jeu, d’avoir fait ce qu’on attendait d’eux et ils se sentent floués. Ils ne récoltent pas ce qui, pour leurs pères ou grands-pères, allait de soi. Mais pourquoi cette révolte maintenant, plutôt qu’en 2008 ou en 2012 ? Cela a à voir avec les inégalités exacerbées, la reprise économique faiblarde et les changement­s culturels – par exemple ces émissions télévisées qui suggèrent, à tort, que tout le monde va bien, excepté ceux qui se considèren­t de « vrais Américains », des Américains à l’ancienne. Tous ces facteurs se sont cristallis­és autour de Trump, qui est lui-même un personnage unique en ce sens qu’il est célèbre et semble se soucier comme de sa dernière chemise des conséquenc­es de ce qu’il dit. C’est une vraie di érence avec Marine Le Pen, qui est une femme politique très prudente et calculatri­ce. On retrouve cette révolte populiste chez les partisans de Bernie Sanders… Oui, mais avec Trump il y a une di érence très américaine : le pays ne fait pas seulement la distinctio­n entre riches et pauvres, il sépare les riches qui méritent de l’être de ceux qui ne le méritent pas. Et Trump fait partie des premiers. A tort, à mon avis, puisqu’il a hérité d’un gros paquet d’argent et serait aussi riche s’il l’avait simplement placé à la banque, mais peu importe, les gens considèren­t qu’il n’a pas volé son succès.

Trump joue également sur la peur… Oui, et si j’ose dire, c’est e rayant. Le moment que nous vivons rappelle les pires heures des années 1930, non seulement parce que les choses ne vont pas bien, mais surtout parce qu’il devient très di cile de voir comment elles pourraient s’améliorer. C’est un choc terrible pour les Américains. Le phénomène des banlieues pavillonna­ires et des communauté­s protégées n’a-t-il pas accéléré cette dissolutio­n de la communauté de destin, si frappante aujourd’hui ? La vie en banlieue vous permet de vivre avec des gens dont vous partagez les opinions ou qui sont semblables à vous. L’un des mérites des villes est qu’elles vous forcent à côtoyer des gens di érents de vous et qui ne sont pas d’accord avec vous. Un développem­ent très important, ces dix ou vingt dernières années, a été l’extension de la « vie en grappes » résidentie­lle, désormais, dans les quartiers de nombreuses villes. Il était courant, il n’y a pas si longtemps, d’avoir des voisins qui ne partageaie­nt pas vos opinions ; c’est bien plus rare aujourd’hui. Pour en revenir à Trump, peut-on parler de fascisme en ce qui le concerne ? Je ne dirais pas cela. Même si Trump proclame qu’il est le candidat le plus militarist­e, il ne puise pas dans les valeurs guerrières caractéris­tiques du fascisme. Ce qui m’inquiète plus, c’est une sorte de berlusconi­sme américain. Là, on plongerait dans l’inconnu, et je ne sais pas comment le Congrès ou la Cour suprême réagiraien­t. Je crains une sorte de cour impériale à la MaisonBlan­che, qui ne serait pas contrebala­ncée par la loi ou des principes politiques d’aucune sorte. C’est en cela que Trump m’évoque Berlusconi. Cela dit, je ne pense pas qu’il puisse gagner l’élection présidenti­elle. Il ne sera jamais assez populaire pour cela.

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