L'Obs

« LA GAUCHE DOIT SE RÉEM PARER DE LA NATION »

Entretien avec Bastien Faudot, leader du MRC

- PROPOS RECUEILLIS PAR AUDE LANCELIN ILLUSTRATI­ON DELPHINE LEBOURGEOI­S

Il y avait eu en 2002 une grande e ervescence autour de la candidatur­e de Jean-Pierre Chevènemen­t. Depuis lors, le souveraini­sme de gauche est une idée qui n’a jamais vraiment pris en France. Comment l’expliquez-vous ? Il y a un impensé de la nation en France, notamment à gauche, depuis plus de trente ans. Au PS, cela date notamment du tournant de la rigueur, en 1983, lorsque Mitterrand remplace le programme de transforma­tion sociale par un projet de dépassemen­t du cadre dans lequel s’est toujours organisée la démocratie en France, à savoir la nation. Ce choix se traduira plus tard par sa formule : « La France est ma patrie, mais l’Europe est mon avenir ». Dès lors, « gauche souveraini­ste » a été perçue par les élites comme un oxymore, une contradict­ion dans les termes. Cette contradict­ion n’a jusqu’ici pas été levée. Qu’est-ce qui vous laisse penser aujourd’hui que celle-ci peut être levée ? La profondeur de la crise politique. Les dernières élections régionales ont donné à voir un pays qui ne vote plus qu’à moitié. Près d’un tiers de ceux qui votent choisissen­t le bulletin FN, parti qui a fait de la nation son fonds de commerce dans sa version ethnique. Je fais toutefois le pari que, dans ces conditions, les électeurs sont prêts à essayer des solutions neuves, hier encore perçues comme provocatri­ces. La campagne de François Hollande avait pu sembler relancer l’espoir à gauche. Cela avait commencé au Bourget avec l’engagement à renégocier le traité budgétaire européen, la désignatio­n de la finance comme son « adversaire », l’ambition d’une grande réforme fiscale inspirée par Piketty, la volonté de réenchante­r le rêve français… Mais, faute de remettre en cause le cadre européen dans lequel les choix politiques sont cadenassés, la volonté des velléitair­es s’écrase contre les premières di cultés. Tout cela tient au fond en un geste : le 29 juin 2012, la peinture de son bureau était encore fraîche quand le président a choisi de céder aux injonction­s d’Angela Merkel sur la conduite des politiques économique­s en Europe. Ce soir-là, le mandat était déjà écrit. Les Français ne peuvent dès lors que constater la fausse alternance à laquelle on les soumet depuis désormais trente ans, entre sociaux-libéraux et libéraux conservate­urs. Il est temps de leur proposer autre chose. Ce que n’a pas réussi jusqu’ici le Front de Gauche, à savoir stopper la progressio­n du FN dans les classes populaires, contrer le succès de sa vision tribale de la nation, comment comptez-vous y parvenir ? D’abord, concernant le FN, il y a une urgence, c’est de sortir du discours de la trouille. La logique du barrage est une logique de perdant, qui conduit d’échec en échec. La grande di érence entre nous et le Front de Gauche sur l’approche du FN, c’est que nous ne l’abordons pas sous un angle moral, celui du retour à la France de Pétain. Il faut cesser de mépriser les électeurs du FN, sinon la partie est déjà terminée. Contrer le FN nécessite de prendre au sérieux la demande de sécurité symbolique. Face à l’hystérie identitair­e, culturelle et religieuse, l’a rmation des principes républicai­ns permet de vivre ensemble, pas simplement côte à côte, mais bien ensemble. De ce point de vue, la République est une cause, pas une nostalgie. Et c’est là qu’il y a un fossé entre souveraini­sme de gauche et souveraini­sme de droite. La France dont nous voulons leur parler n’est pas la France éternelle, fille aînée de l’Eglise, inscrite dans le marbre d’une histoire largement fantasmée. Ce n’est pas un vieux cadavre froid qu’il s’agirait juste d’embaumer comme le fait le FN. La France est vivante. La France, c’est d’abord le cadre dans lequel vit le débat, la délibérati­on collective. Cette nation issue de la Révolution qui, de par le monde, continue d’avoir un écho puissant pour les peuples en quête de liberté. En dépit de ce que peut penser la gauche bienpensan­te, la nation, ce n’est pas le repli, ce n’est pas l’archaïsme : c’est la condition pour parler de quelque part à quelqu’un. Il est urgent que la gauche se réempare de ces questions, c’est cela le sens de la candidatur­e du MRC.

Il y a un soupçon que l’on fait souvent peser sur le souveraini­sme de gauche, et sur lequel celuici vient régulièrem­ent se briser, c’est l’idée d’une jonction possible des extrêmes, à partir de la question de la nation justement. Sur ce point-là, Jean-Pierre Chevènemen­t n’a pas toujours été très clair. Il a notamment appelé à une union des souveraini­smes « de Mélenchon jusqu’à Dupont-Aignan », or on sait que le leader de Debout la France a une position équivoque sur la question Marine Le Pen… Dupont-Aignan n’est plus le petit gaulliste sympathiqu­e qui avait quitté l’UMP en 2007. On est bien obligé d’observer qu’il a bougé. Il a soutenu Robert Ménard à Béziers et il a fait des déclaratio­ns sur l’éventuelle participat­ion de Marine Le Pen à son gouverneme­nt s’il devait l’emporter en 2012. Je ne crois pas pour ma part au souveraini­sme des deux rives. Je crois au contraire à la persistanc­e du clivage droite-gauche. C’est un repère qui structure la vie politique, et il est plus que jamais nécessaire aujourd’hui de renforcer son contenu. Nous n’avons notamment rien à faire avec le FN, issu de l’OAS, c’est-à-dire de l’histoire coloniale, hostile à la liberté des autres peuples. Au MRC, nous voulons que notre peuple retrouve sa capacité d’autodéterm­ination, sa souveraine­té, et nous le voulons au même titre pour tous les peuples. Voilà le sens du vrai internatio­nalisme. L’hostilité à l’euro a longtemps été l’un des grands marqueurs du chevènemen­tisme. Militez-vous aujourd’hui encore pour une sortie de la monnaie unique ? La question n’est pas de faire du fétichisme de la monnaie quelle qu’elle soit, nationale ou européenne. La question, est : quels sont les outils concrets à notre dispositio­n pour reprendre en main la maîtrise de notre destin ? La nationalis­ation de l’euro me semble dans cette mesure indispensa­ble. S’il est une leçon à tirer de l’expérience Syriza en Grèce, que j’ai suivie sur place cet été, c’est que le redresseme­nt économique dans le cadre des traités européens actuels n’est pas possible. J’ai espéré, durant le référendum, que Tsípras aborde le sujet qui fâche, quitte à perdre, mais cela a été une cruelle déception. L’euro dans son format actuel n’est pas viable. Ou bien nous subirons une sortie désordonné­e, qui serait le pire scénario ; ou bien nous serons capables de l’organiser, afin de conserver une monnaie commune pour les échanges internatio­naux. Comment comptez-vous lever les craintes suscitées par une telle mesure au sein des population­s ? On a mis tellement d’énergie pendant vingt ans pour construire cet idéal ! Je vais vous raconter une anecdote qui m’a beaucoup marquée. J’étais en classe de seconde. Le 9 mai 1994, nous sommes allés avec notre professeur d’histoire à Strasbourg. Le matin même, nous étions allés visiter le camp de concentrat­ion de Natzweiler-Struthof, en Alsace, et l’après-midi nous nous sommes rendus au Parlement européen. Le message subliminal de cette journée était celui-ci : pour ne plus avoir ça, il faut avoir ça. Cela, c’est toute la constructi­on idéologiqu­e de l’Europe : l’assurance-vie pour la paix. Toute une morale y est d’ailleurs adossée. Sauf que cela ne marche pas, et que la rivalité entre les peuples européens est aujourd’hui alimentée par les carences de l’Europe intégrée. On s’entête dans une option qu’on continue à nous vendre comme indépassab­le, or cette option produit dans notre pays une immense violence sociale. Dans le canton où j’ai été élu, à Belfort, il y a 25% de chômeurs et 40% de travailleu­rs pauvres. C’est cela, la réalité de ce pays aujourd’hui, et on ne peut pas se contenter de dire : dormez, bonnes gens, soyez assurés qu’on fait le meilleur pour vous. La gauche ne peut pas esquiver les sujets de fond plus longtemps, sans quoi elle ira au-devant de lourdes désillusio­ns.

 ??  ?? Né en 1978, BASTIEN FAUDOT,conseiller départemen­tal du Territoire de Belfort,est le porte-parole du MRC. Déjà présent aux côtés de Jean-Pierre Chevènemen­t lors de la présidenti­elle de 2002, il prononcera le 7 février prochain son discours d’investitur­e, au Cabaret Sauvage,à Paris.
Né en 1978, BASTIEN FAUDOT,conseiller départemen­tal du Territoire de Belfort,est le porte-parole du MRC. Déjà présent aux côtés de Jean-Pierre Chevènemen­t lors de la présidenti­elle de 2002, il prononcera le 7 février prochain son discours d’investitur­e, au Cabaret Sauvage,à Paris.

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