L'Obs

PAROLES D’ADOLESCENT­S DÉVOTS

Ils ont entre 15 et 20 ans et suivent à la lettre les préceptes de leur religion. Rencontre avec de jeunes croyants beaucoup plus rigoristes que leurs aînés

- NATHALIE BENSAHEL,DOAN BUI, NATHALIE FUNÈS

I ls défendent la virginité avant le mariage, connaissen­t sur le bout des doigts les textes sacrés, revendique­nt leur appartenan­ce religieuse. Ils sont musulmans, chrétiens ou juifs. Jeunes et ultrarelig­ieux, voire intégriste­s au sens où ils suivent le dogme à la lettre. Souvent très connectés, s’abreuvant sur YouTube de sermons religieux et se bombardant de versets de la Bible ou du Coran par textos. Qu’ils soient héritiers d’une tradition religieuse familiale ou nés de parents athées, ils incarnent parfaiteme­nt ce que le sociologue Olivier Roy appelle les born

again, cette génération qui renoue avec le religieux. A la fin des années 1960, les aînés fustigeaie­nt les jeunes réclamant l’amour libre, écoutant à fond les Stones et rêvant des paradis artificiel­s de Katmandou. Aujourd’hui, dans un drôle de renverseme­nt, c’est au contraire ces gamins qui arrêtent d’écouter de la musique ou adoptent des postures puritaines qui inquiètent leurs familles. La religion, une nouvelle façon de s’a rmer pour les jeunes ? Pour l’imam Tareq Obrou, « c’est une mode. Ils s’a chent avec un voile ou un kamis comme ils pourraient être gothiques ou punk ». Tandis que d’autres choisissen­t de faire le pèlerinage Chartres-Paris en récitant des homélies ou s’abstiennen­t d’allumer ou d’éteindre l’électricit­é pendant le shabbat… Voyage dans la France des nouveaux dévots.

Elles réajustent les voiles, coquettes : là une mèche qui dépasse, ici un faux pli. Elles gloussent et regardent leur téléphone portable. Ici, à la mosquée de Brest, dans la salle réservée aux femmes, les visages ont gardé les joues rondes de l’enfance, les dents sont parfois équipées de bagues. Les fans de l’imam de Brest, désormais célèbre pour ses positions controvers­ées sur la musique et son interpréta­tion rigoriste de l’islam, sont très jeunes. C’est ici et à l’école coranique que Myriam, 19 ans, s’est fait ses meilleures copines. « Avant, j’étais dans la Creuse, il n’y avait pas trop de musulmans. » Deuxième d’une famille de six enfants, Myriam est une bonne élève : elle vient de décrocher son bac S, suit des cours à la fac. C’est en première qu’elle s’est « plongée » dans la religion. Myriam la scientifiq­ue ne croit pas un mot de la théorie de l’évolution – « C’est une théorie, non ? » – puisqu’il est

écrit qu’Allah a créé l’homme, « mais ça ne m’a pas dérangée d’apprendre ça à l’école ». C’est qu’elle est studieuse, Myriam. Comme pour ses cours, elle a bûché sa pratique religieuse, surfant des heures durant sur le Net, avalant aussi bien les sermons de l’imam de Brest que ceux de ses comparses « youtubers », tout aussi rigoristes… Entre copines, elles textotent et « whatsappen­t » à mort, s’échangeant sourates et

anasheed (chants religieux). « Ça remonte le moral quand tu as un petit coup de blues »,

dit Myriam. C’est elle qui a « ramené » sa mère à l’islam : « Je l’incite à faire la prière

avec moi. » Les copines non musulmanes de Myriam s’intéressen­t également à la

religion : « L’une voulait devenir témoin de Jéhovah. L’autre est athée, mais pense se convertir à l’islam. Elle a peur de la réaction de ses parents. Depuis les attentats, forcément… » Myriam était fan de zouk, elle a arrêté d’écouter de la musique. Nesrin, en terminale au lycée profession­nel, avoue avoir eu du mal à lâcher Rihanna : « Quand je l’écoutais, c’était dingue, c’est comme si elle était dans mon coeur. » Mais, en troisième, elle aussi a eu sa révélation : « Je tournais mal, j’avais pas de respect. Heureuseme­nt, maintenant, Allah m’a indiqué la voie. J’essaie d’insu er ses paroles à mes frères, pour les ramener dans le droit chemin. Ils traînent trop avec des racailles. »

Rihanna a disparu de l’iPod. « Parfois, si mes copines mettent une chanson, j’avoue, je peux pas m’empêcher de chanter… »

Les petits copains ? Impensable. La semaine dernière, il y a eu un cours d’éducation à la sexualité au lycée. Nesrin, muette, a écouté l’intervenan­te expliquer que ce n’est pas parce qu’une fille a des relations sexuelles avant le mariage que c’est une prostituée : « J’ai rien dit, je voulais pas me faire remarquer, passer pour la musulmane de service. Mais j’en pensais pas moins ! » Myriam et Nesrin sont catégoriqu­es. Les relations sexuelles sont formelleme­nt interdites avant le mariage. D’où une épidémie de mariages précoces dans leur entourage. Pour Myriam, ce sera ce mois-ci. Elle va convoler avec un jeune gar

çon, musulman lui aussi : « Je n’aurais pas envisagé de me marier avec un non-musul

man. » Il a entendu parler d’elle, l’a croisée dans la rue… et est allé demander sa main à sa mère. Se sont ensuivies trois séances de mouqabala, présentati­ons entre Myriam et son prétendant, le tout sous l’oeil des parents. « On s’est posé des questions mutuelleme­nt. Je lui ai dit que je refusais la polygamie, que je voulais continuer mes études. Il est d’accord pour que je travaille ensuite, mais pas sans voile. » C’était il y a trois semaines ; le mariage reli-

Impensable de se marier avec un non- musulman

gieux est prévu pour la mi-février. « Et chacun restera habiter chez ses parents. En fait, c’est pas si différent de mes copines athées qui ont des petits copains… »

« Il n’y a qu’une seule vraie religion, la catholique. Dieu est descendu sur terre pour nous le dire. Et il n’y a pas plusieurs dieux dans le ciel, on ne va pas commencer à croire à toutes ces sornettes. Toutes les autres religions sont fausses. » Hubert (1), 15 ans, lunettes, appareil dentaire, neuf frères et soeurs, est habillé de bleu marine de la tête aux pieds et n’a aucun doute sur ses conviction­s. Ce midi, il rentre déjeuner à la maison, équipé d’une trottinett­e rose, sans doute héritée d’une de ses soeurs. Hubert est en seconde à l’école Saint-Bernard de Bailly, bourgade de quatre mille âmes en bordure de la forêt de Marly, dans la banlieue ouest de Paris. Saint-Bernard fait partie de la centaine d’établissem­ents catholique­s gérés par la Fraternité sacerdotal­e Saint-Pie-X, créée par feu Mgr Lefebvre, et n’a pas voulu signer de « contrat » avec l’Education nationale. « Pour ne pas être soumis aux obligation­s vraiment perverses, immorales et antichréti­ennes » du ministère, explique le directeur, l’abbé Bernard de Lacoste, dans la vidéo de présentati­on de l’établissem­ent. Hubert trouve son école « géniale ». Il participe à la prière collective chaque matin dans la chapelle de l’Enfant-Jésus, au rez-de-chaussée, et se dit « passionné » par les deux heures de doctrine religieuse dispensées chaque semaine par un abbé : « Ça nous montre le

vrai but de la vie. » A Saint-Bernard, pas de risque que les cours heurtent sa foi catholique. « Ici, on nous démonte la théorie de l’évolution de Darwin. Le plus ne peut pas sortir du moins. C’est évident que l’homme capable de raisonner ne peut pas venir du singe, un animal stupide. » Il n’y a pas non plus de leçons d’éducation sexuelle. « Ce serait contraire au 6e commandeme­nt de Dieu : “Tu ne feras pas d’impureté.” » Hubert lit les textes régulièrem­ent publiés par son directeur. Celui qui l’a le plus marqué était consacré aux « films clairement mauvais », ceux qui contiennen­t au moins

une scène « contraire à la pureté » et ceux qui « tournent en ridicule la vertu ou la vraie religion ». « Les regarder est un

péché », dit Hubert. A l’heure du déjeuner, comme tous les matins, comme toutes les fins de journée, la rue de Chaponval, devant les grilles de l’école Saint-Bernard, devient un ballet de Renault Espace et de minibus remplis d’enfants en bleu marine et vert bouteille, conduits par des mères en jupe mi-mollet.

Depuis deux ans, Daniel, jeune juif parisien de 20 ans, porte en permanence une kippa et des tsitsit, ces franges rituelles qu’arborent les juifs orthodoxes. Il est ce qu’on appelle un « chomer shabbat », quelqu’un qui suit à la lettre les règles du shabbat. Ce qui complique un peu la vie de ses parents, qui ne sont pas religieux comme lui. A la maison, tout est désormais 100% casher. La nourriture bien entendu, mais aussi les deux vaisselles, l’une pour le lait, l’autre pour la viande, rangées dans des placards séparés afin qu’elles ne soient pas en contact. Lorsque Daniel passe le shabbat chez ses parents, la préparatio­n des repas suit scrupuleus­ement les règles de la loi juive qui dit que pendant ce jour de repos de fin de semaine, on ne cuisine pas et on n’allume pas l’électricit­é. Résultat : les plats du vendredi soir et du samedi midi sont cuisinés à l’avance le vendredi dans la matinée et tenus au chaud sur une plaque électrique jusqu’au samedi soir. La mère de Daniel s’y est faite… Les vacances aussi sont devenues plus compliquée­s (vaisselle, nourriture, jamais de restaurant, lieux pour faire shabbat). Il y a deux ans, la mère de Daniel – qui dira le dévouement des mères ? – a dû tremper de la vaisselle dans l’eau de mer à Formentera, tout en disant une bénédictio­n, afin que Daniel puisse manger dans une vaisselle « cashérisée » pendant ses quelques jours de farniente… « J’ai la chance d’avoir des parents qui m’accompagne­nt, même s’ils ne sont pas fans de mes choix », dit-il. Parce que ses études et sa vie spirituell­e exigent du temps, Daniel s’est déconnecté de ses comptes Facebook et Twitter. Et, s’il ne va pas en boîte – le lieu des contacts hommes-femmes proscrits par la Torah – et ne mange pas chez les gens qui n’ont pas de vaisselle casher, il ne s’interdit ni les concerts ni les cafés, et surtout pas les matchs de foot. « Je serre la main des femmes, je l’ai toujours fait, dit-il, mais je ne sais pas si je continuera­i toujours à leur faire la bise. Mais je reste tout de même “laïque” dans le sens où je vis parfaiteme­nt bien dans une société sécularisé­e, contrairem­ent à certains, beaucoup plus religieux. Et je veux travailler, avoir un métier. »

Daniel est venu à la religion par le sionisme. Et par sa préoccupat­ion pour Israël, dont il suivait l’actualité sur des sites « ultrasioni­stes, et même d’extrême droite »

lorsqu’il était plus jeune. « J’avais 16 ans, j’étais immature et en quête d’absolu, mais j’ai vite vu que je tournais à vide. » L’année du bac, c’est sur internet qu’il commence sa formation théologiqu­e, sur des sites où il apprend les « trucs basiques du judaïsme. Même si j’ai fait ma bar-mitsva et que je vis dans une famille juive traditionn­elle, je n’avais pas de culture religieuse ». Mais son vrai basculemen­t se produit l’année suivante, en 2013, après un voyage en Israël. « A 18 ans, j’ai fait une semaine d’études dans une yeshiva à Jérusalem. J’ai été pro

fondément touché. » Daniel sait désormais qu’il veut mener une existence religieuse et observante, et ce sera en Israël. Où il rejoindra Tsahal pour faire son service militaire. Mais, avant, il se mariera « pro

bablement », parce que le mariage – ou plutôt la procréatio­n – est un commandeme­nt de la Torah.

(1) Le prénom a été modifié.

“L’homme ne peut pas venir du singe, un animal stupide” “Je ne sais pas si je ferai toujours la bise aux femmes”

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L’institutio­n Notre- Dame La Riche à Tours.
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Des élèves se recueillen­t en souvenir des jeunes déportés de l’école Lucien- de- Hirsch à Paris.
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Le lycée- collège privé musulman Averroès, à Lille.

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