PAROLES D’ADOLESCENTS DÉVOTS
Ils ont entre 15 et 20 ans et suivent à la lettre les préceptes de leur religion. Rencontre avec de jeunes croyants beaucoup plus rigoristes que leurs aînés
I ls défendent la virginité avant le mariage, connaissent sur le bout des doigts les textes sacrés, revendiquent leur appartenance religieuse. Ils sont musulmans, chrétiens ou juifs. Jeunes et ultrareligieux, voire intégristes au sens où ils suivent le dogme à la lettre. Souvent très connectés, s’abreuvant sur YouTube de sermons religieux et se bombardant de versets de la Bible ou du Coran par textos. Qu’ils soient héritiers d’une tradition religieuse familiale ou nés de parents athées, ils incarnent parfaitement ce que le sociologue Olivier Roy appelle les born
again, cette génération qui renoue avec le religieux. A la fin des années 1960, les aînés fustigeaient les jeunes réclamant l’amour libre, écoutant à fond les Stones et rêvant des paradis artificiels de Katmandou. Aujourd’hui, dans un drôle de renversement, c’est au contraire ces gamins qui arrêtent d’écouter de la musique ou adoptent des postures puritaines qui inquiètent leurs familles. La religion, une nouvelle façon de s’a rmer pour les jeunes ? Pour l’imam Tareq Obrou, « c’est une mode. Ils s’a chent avec un voile ou un kamis comme ils pourraient être gothiques ou punk ». Tandis que d’autres choisissent de faire le pèlerinage Chartres-Paris en récitant des homélies ou s’abstiennent d’allumer ou d’éteindre l’électricité pendant le shabbat… Voyage dans la France des nouveaux dévots.
Elles réajustent les voiles, coquettes : là une mèche qui dépasse, ici un faux pli. Elles gloussent et regardent leur téléphone portable. Ici, à la mosquée de Brest, dans la salle réservée aux femmes, les visages ont gardé les joues rondes de l’enfance, les dents sont parfois équipées de bagues. Les fans de l’imam de Brest, désormais célèbre pour ses positions controversées sur la musique et son interprétation rigoriste de l’islam, sont très jeunes. C’est ici et à l’école coranique que Myriam, 19 ans, s’est fait ses meilleures copines. « Avant, j’étais dans la Creuse, il n’y avait pas trop de musulmans. » Deuxième d’une famille de six enfants, Myriam est une bonne élève : elle vient de décrocher son bac S, suit des cours à la fac. C’est en première qu’elle s’est « plongée » dans la religion. Myriam la scientifique ne croit pas un mot de la théorie de l’évolution – « C’est une théorie, non ? » – puisqu’il est
écrit qu’Allah a créé l’homme, « mais ça ne m’a pas dérangée d’apprendre ça à l’école ». C’est qu’elle est studieuse, Myriam. Comme pour ses cours, elle a bûché sa pratique religieuse, surfant des heures durant sur le Net, avalant aussi bien les sermons de l’imam de Brest que ceux de ses comparses « youtubers », tout aussi rigoristes… Entre copines, elles textotent et « whatsappent » à mort, s’échangeant sourates et
anasheed (chants religieux). « Ça remonte le moral quand tu as un petit coup de blues »,
dit Myriam. C’est elle qui a « ramené » sa mère à l’islam : « Je l’incite à faire la prière
avec moi. » Les copines non musulmanes de Myriam s’intéressent également à la
religion : « L’une voulait devenir témoin de Jéhovah. L’autre est athée, mais pense se convertir à l’islam. Elle a peur de la réaction de ses parents. Depuis les attentats, forcément… » Myriam était fan de zouk, elle a arrêté d’écouter de la musique. Nesrin, en terminale au lycée professionnel, avoue avoir eu du mal à lâcher Rihanna : « Quand je l’écoutais, c’était dingue, c’est comme si elle était dans mon coeur. » Mais, en troisième, elle aussi a eu sa révélation : « Je tournais mal, j’avais pas de respect. Heureusement, maintenant, Allah m’a indiqué la voie. J’essaie d’insu er ses paroles à mes frères, pour les ramener dans le droit chemin. Ils traînent trop avec des racailles. »
Rihanna a disparu de l’iPod. « Parfois, si mes copines mettent une chanson, j’avoue, je peux pas m’empêcher de chanter… »
Les petits copains ? Impensable. La semaine dernière, il y a eu un cours d’éducation à la sexualité au lycée. Nesrin, muette, a écouté l’intervenante expliquer que ce n’est pas parce qu’une fille a des relations sexuelles avant le mariage que c’est une prostituée : « J’ai rien dit, je voulais pas me faire remarquer, passer pour la musulmane de service. Mais j’en pensais pas moins ! » Myriam et Nesrin sont catégoriques. Les relations sexuelles sont formellement interdites avant le mariage. D’où une épidémie de mariages précoces dans leur entourage. Pour Myriam, ce sera ce mois-ci. Elle va convoler avec un jeune gar
çon, musulman lui aussi : « Je n’aurais pas envisagé de me marier avec un non-musul
man. » Il a entendu parler d’elle, l’a croisée dans la rue… et est allé demander sa main à sa mère. Se sont ensuivies trois séances de mouqabala, présentations entre Myriam et son prétendant, le tout sous l’oeil des parents. « On s’est posé des questions mutuellement. Je lui ai dit que je refusais la polygamie, que je voulais continuer mes études. Il est d’accord pour que je travaille ensuite, mais pas sans voile. » C’était il y a trois semaines ; le mariage reli-
Impensable de se marier avec un non- musulman
gieux est prévu pour la mi-février. « Et chacun restera habiter chez ses parents. En fait, c’est pas si différent de mes copines athées qui ont des petits copains… »
« Il n’y a qu’une seule vraie religion, la catholique. Dieu est descendu sur terre pour nous le dire. Et il n’y a pas plusieurs dieux dans le ciel, on ne va pas commencer à croire à toutes ces sornettes. Toutes les autres religions sont fausses. » Hubert (1), 15 ans, lunettes, appareil dentaire, neuf frères et soeurs, est habillé de bleu marine de la tête aux pieds et n’a aucun doute sur ses convictions. Ce midi, il rentre déjeuner à la maison, équipé d’une trottinette rose, sans doute héritée d’une de ses soeurs. Hubert est en seconde à l’école Saint-Bernard de Bailly, bourgade de quatre mille âmes en bordure de la forêt de Marly, dans la banlieue ouest de Paris. Saint-Bernard fait partie de la centaine d’établissements catholiques gérés par la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X, créée par feu Mgr Lefebvre, et n’a pas voulu signer de « contrat » avec l’Education nationale. « Pour ne pas être soumis aux obligations vraiment perverses, immorales et antichrétiennes » du ministère, explique le directeur, l’abbé Bernard de Lacoste, dans la vidéo de présentation de l’établissement. Hubert trouve son école « géniale ». Il participe à la prière collective chaque matin dans la chapelle de l’Enfant-Jésus, au rez-de-chaussée, et se dit « passionné » par les deux heures de doctrine religieuse dispensées chaque semaine par un abbé : « Ça nous montre le
vrai but de la vie. » A Saint-Bernard, pas de risque que les cours heurtent sa foi catholique. « Ici, on nous démonte la théorie de l’évolution de Darwin. Le plus ne peut pas sortir du moins. C’est évident que l’homme capable de raisonner ne peut pas venir du singe, un animal stupide. » Il n’y a pas non plus de leçons d’éducation sexuelle. « Ce serait contraire au 6e commandement de Dieu : “Tu ne feras pas d’impureté.” » Hubert lit les textes régulièrement publiés par son directeur. Celui qui l’a le plus marqué était consacré aux « films clairement mauvais », ceux qui contiennent au moins
une scène « contraire à la pureté » et ceux qui « tournent en ridicule la vertu ou la vraie religion ». « Les regarder est un
péché », dit Hubert. A l’heure du déjeuner, comme tous les matins, comme toutes les fins de journée, la rue de Chaponval, devant les grilles de l’école Saint-Bernard, devient un ballet de Renault Espace et de minibus remplis d’enfants en bleu marine et vert bouteille, conduits par des mères en jupe mi-mollet.
Depuis deux ans, Daniel, jeune juif parisien de 20 ans, porte en permanence une kippa et des tsitsit, ces franges rituelles qu’arborent les juifs orthodoxes. Il est ce qu’on appelle un « chomer shabbat », quelqu’un qui suit à la lettre les règles du shabbat. Ce qui complique un peu la vie de ses parents, qui ne sont pas religieux comme lui. A la maison, tout est désormais 100% casher. La nourriture bien entendu, mais aussi les deux vaisselles, l’une pour le lait, l’autre pour la viande, rangées dans des placards séparés afin qu’elles ne soient pas en contact. Lorsque Daniel passe le shabbat chez ses parents, la préparation des repas suit scrupuleusement les règles de la loi juive qui dit que pendant ce jour de repos de fin de semaine, on ne cuisine pas et on n’allume pas l’électricité. Résultat : les plats du vendredi soir et du samedi midi sont cuisinés à l’avance le vendredi dans la matinée et tenus au chaud sur une plaque électrique jusqu’au samedi soir. La mère de Daniel s’y est faite… Les vacances aussi sont devenues plus compliquées (vaisselle, nourriture, jamais de restaurant, lieux pour faire shabbat). Il y a deux ans, la mère de Daniel – qui dira le dévouement des mères ? – a dû tremper de la vaisselle dans l’eau de mer à Formentera, tout en disant une bénédiction, afin que Daniel puisse manger dans une vaisselle « cashérisée » pendant ses quelques jours de farniente… « J’ai la chance d’avoir des parents qui m’accompagnent, même s’ils ne sont pas fans de mes choix », dit-il. Parce que ses études et sa vie spirituelle exigent du temps, Daniel s’est déconnecté de ses comptes Facebook et Twitter. Et, s’il ne va pas en boîte – le lieu des contacts hommes-femmes proscrits par la Torah – et ne mange pas chez les gens qui n’ont pas de vaisselle casher, il ne s’interdit ni les concerts ni les cafés, et surtout pas les matchs de foot. « Je serre la main des femmes, je l’ai toujours fait, dit-il, mais je ne sais pas si je continuerai toujours à leur faire la bise. Mais je reste tout de même “laïque” dans le sens où je vis parfaitement bien dans une société sécularisée, contrairement à certains, beaucoup plus religieux. Et je veux travailler, avoir un métier. »
Daniel est venu à la religion par le sionisme. Et par sa préoccupation pour Israël, dont il suivait l’actualité sur des sites « ultrasionistes, et même d’extrême droite »
lorsqu’il était plus jeune. « J’avais 16 ans, j’étais immature et en quête d’absolu, mais j’ai vite vu que je tournais à vide. » L’année du bac, c’est sur internet qu’il commence sa formation théologique, sur des sites où il apprend les « trucs basiques du judaïsme. Même si j’ai fait ma bar-mitsva et que je vis dans une famille juive traditionnelle, je n’avais pas de culture religieuse ». Mais son vrai basculement se produit l’année suivante, en 2013, après un voyage en Israël. « A 18 ans, j’ai fait une semaine d’études dans une yeshiva à Jérusalem. J’ai été pro
fondément touché. » Daniel sait désormais qu’il veut mener une existence religieuse et observante, et ce sera en Israël. Où il rejoindra Tsahal pour faire son service militaire. Mais, avant, il se mariera « pro
bablement », parce que le mariage – ou plutôt la procréation – est un commandement de la Torah.
(1) Le prénom a été modifié.
“L’homme ne peut pas venir du singe, un animal stupide” “Je ne sais pas si je ferai toujours la bise aux femmes”