L'Obs

L’OPINION

de Matthieu Croissande­au

- MATTHIEU CROISSANDE­AU M. C.

Que reste-t-il de nos amours européenne­s ? Une « vieille photo » ? Un « bonheur fané », comme le dit la chanson? En ce début d’année 2016 et à une semaine d’une réunion du Conseil européen décisive pour l’avenir de l’Union, le pessimisme domine sur tous les fronts. Notre Vieux Continent doit faire face à la plus grave crise qu’il ait connue depuis qu’il s’est choisi un destin commun, il y a soixante ans. Et, pour la première fois, la désillusio­n semble frapper non seulement les opinions publiques, mais aussi les représenta­nts de la classe politique des 28 Etats membres.

Difficile d’y croire encore, il est vrai, au moment où le modèle entier de la constructi­on euro- péenne paraît vaciller sur ses bases. Mal remise de la crise financière et de la crise de la dette, l’Europe a bien failli y laisser sa monnaie unique, à défaut de sa peau. Ebranlée par la crise migratoire, elle a vu voler en éclats la libre circulatio­n. Attaquée sur ses valeurs fondamenta­les de démocratie et de progrès, elle doit faire face à une redoutable dérive autoritair­e de la part de pays qui l’ont rejointe très récemment comme la Hongrie ou la Pologne. Enfin, frappée au coeur par le terrorisme, elle se révèle hélas toujours incapable de faire taire les égoïsmes nationaux pour élever au rang de priorité numéro un la sécurité de ses citoyens.

Hier, la Grèce faillit être boutée hors de la zone euro. Demain, peut-être le RoyaumeUni choisira-t-il de faire sécession. Le spectre de la désintégra­tion que les europhiles agitent chaque fois que l’heure devient grave n’est plus une figure de style mais une menace réelle et sérieuse inscrite dans le temps, tant on du mal à voir ce qui pourrait changer la donne. Où sont les idées neuves ? Où sont passées les voix fortes? A l’exception d’une poignée d’irréductib­les, même les esprits les plus convaincus semblent avoir jeté l’éponge. « L’Europe c’est fini, on a raté le coche », déclarait ainsi il y a deux mois un Michel Rocard sépulcral, lors d’un colloque organisé à Bruxelles par « l’Obs ». Même les gouverneme­nts progressis­tes continuent de désigner l’Europe comme la responsabl­e de tous leurs maux. On l’a encore constaté lundi dernier en voyant Manuel Valls se défausser sur la Commission pour répondre à la crise agricole. Et, pourtant, il faut le répéter inlassable­ment, la solution passera bien par plus d’Europe, et non par moins d’Europe. Le refrain peut paraître éculé ou contre-intuitif, en particulie­r à la veille d’une campagne présidenti­elle propice à la démagogie et au populisme. Mais qu’on s’en réjouisse ou qu’on s’en désole, il faut avoir le courage de reconnaîtr­e que l’intégratio­n de nos économies est un processus irréversib­le. Il va donc falloir batailler plus que jamais pour défendre nos valeurs démocratiq­ues, faire avancer une nécessaire harmonisat­ion des conditions de vie et de travail, définir une meilleure répartitio­n de la charge et des rôles entre les différents pays membres, améliorer la transparen­ce et le contrôle, renforcer enfin les processus de décision. Bref, faire un dernier pari, au sens pascalien du terme, sans savoir s’il débouchera sur un nouveau chemin, plutôt que d’opter pour une porte de sortie qui ne mènera qu’à l’impasse.

Qu’on s’en réjouisse ou qu’on s’en désole, il faut avoir le courage de reconnaîtr­e que l’intégratio­n de nos économies est un processus irréversib­le.

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