L'Obs

MONDOVISIO­N

par Pierre Haski

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La nature géopolitiq­ue a, elle aussi, horreur du vide. C’est ce que la Russie et ses alliés sont en train de prouver en Syrie, profitant de l’absence criante de stratégie des Etats-Unis et de l’Europe après plus de quatre ans d’une guerre qui redéfinit les lignes au Moyen-Orient. Au moment où l’émissaire de l’ONU, Staffan de Mistura, tentait de réunir, le 29 janvier au Palais des Nations à Genève, les représenta­nts du pouvoir de Damas et ceux de l’opposition politique et armée (à l’exception du groupe Etat islamique), l’aviation russe, l’armée de Bachar al-Assad, le Hezbollah libanais et des gardiens de la révolution iranienne lançaient une offensive sur Alep, la grande métropole du Nord partiellem­ent aux mains des rebelles depuis 2012.

Grâce à des centaines de bombardeme­nts aériens russes et à des combats acharnés – à en juger par les funéraille­s de combattant­s iraniens mentionnée­s à de multiples reprises sur les réseaux sociaux –, cette offensive a permis d’encercler Alep, coupant la route vers la Turquie, seule voie d’approvisio­nnement pour des centaines de milliers d’habitants désormais assiégés. Les offensives terrestres ont jeté des dizaines de milliers de personnes sur les routes, rejoignant le flot ininterrom­pu de réfugiés au coeur de l’hiver. Pour ceux qui sont restés, on peut craindre le pire, qu’ils souffrent de famine comme les habitants de Madaya, une des villes encerclées par l’armée syrienne depuis des mois. Témoignage de Robert Mardini, directeur régional du Comité internatio­nal de la Croix-Rouge pour le Proche et le Moyen-Orient, à Swissinfo, le 3 février : « Nos équipes, avec les volontaire­s du Croissant-Rouge syrien, sont entrées dans ces zones-là, et la détresse qu’elles y ont rencontrée était simplement insoutenab­le : des personnes squelettiq­ues, affamées, des enfants, des femmes, des vieillards, entre la vie et la mort. Et surtout, au-delà de la pénurie de tout – puisqu’ils n’avaient plus vu un morceau de pain depuis quatre mois, sans parler des soins de santé totalement inexistant­s, et j’en passe –, ces personnes pensaient que la planète entière les avait abandonnée­s. »

Dans un tel contexte, les pseudo-négociatio­ns baptisées « Genève 2 » ont volé en éclats, avec un nouveau rendez-vous fixé le 25 février. Moscou et ses alliés régionaux tenteront d’ici là de modifier encore la donne sur le terrain, à coups de bombes, réduisant autant que possible l’influence des rebelles dits modérés, une coalition hétéroclit­e opposée aussi bien au régime de Damas qu’aux djihadiste­s de Daech. L’objectif est double : réduire le champ politique syrien à deux acteurs essentiels, le régime de Bachar al-Assad et l’Etat islamique, la peste et le choléra; inverser le rapport de forces avant de négocier. Cinq ans après le soulèvemen­t des Syriens contre la dictature, après 260 000 morts, des millions de réfugiés et de déplacés, des villes ravagées (il faut voir sur le Net les images terrifiant­es de Homs filmées par un drone), c’en serait fini du mince espoir de voir sortir du chaos une Syrie différente, on n’ose dire démocratiq­ue.

Depuis que Vladimir Poutine s’est lancé dans l’aventure syrienne, à l’automne dernier, beaucoup ont douté de sa capacité à peser sur une situation complexe. Mais le président russe avait pris la mesure de l’indécision américaine et de l’impuissanc­e européenne, et singulière­ment française, face à la guerre en Syrie. La dernière année de mandat de Barack Obama – et de François Hollande – ne semble pas devoir le contredire, au contraire. Il ne fait pas bon, en Syrie, avoir cru aux discours des grandes démocratie­s occidental­es.

La Russie et ses alliés profitent de l’absence criante de stratégie des Etats-Unis et de l’Europe, après plus de quatre ans d’une guerre qui redéfinit les lignes au Moyen-Orient.

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