“MON OBJECTIF : DEVENIR RÉALISATEUR”
Quand vous écrivez pour le cinéma, il n’y a pas ce plaisir du style… Non, d’ailleurs écrire pour le cinéma ne m’intéresse plus. Pour moi, écrire des scénarios était un moyen de devenir producteur et metteur en scène. Il me su t de regarder autour de moi à Los Angeles pour comprendre qu’être scénariste est une très mauvaise idée. Certains des scripts que j’ai écrits ont été tournés : « The Canyons » était un projet plutôt étrange que j’ai piloté avec Paul Schrader. J’ai adapté « Zombies », l’un de mes livres, et le film est sorti en 2009 sous le titre « Informers ». J’ai également adapté deux autres livres il y a huit ans, mais mon objectif a toujours été de devenir réalisateur et de passer derrière la caméra, ce qui est en train de se concrétiser. Mais écrire un scénario n’a rien à voir avec la rédaction d’un récit littéraire : un scénario est une carte, un plan. De toute manière, le cinéma n’est pas une forme d’expression pour les écrivains, il est fait pour les metteurs en scène. Si vous êtes très bien payé pour adapter un de vos livres, tant mieux, d’autant qu’à l’époque je n’aurais pas été capable d’assurer une mise en scène. « Informers » n’est pas très bien réalisé et je pense que j’aurais pu mieux faire, mais je ne maîtrisais pas su samment la technique cinématographique à ce moment-là.
Avez-vous réalisé des courts-métrages ? Je me suis progressivement initié à la mise en scène : j’ai réalisé des publicités pour Persol et Van Cleef and Arpels. Petit à petit, je me glisse dans la peau d’un réalisateur, c’est ce qui m’intéresse principalement à ce stade de ma vie. J’ai également mis en scène une heure d’une série que nous allons proposer à une société de production en ligne. L’ironie, c’est que, pour beaucoup de gens, écrire des romans est ce que je fais le mieux. Selon eux, je suis nettement moins bon pour tout le reste.
Mais vous persistez ? Oui, parce que j’y prends du plaisir, parce que ça reste malgré tout de l’écriture, parce que j’ai déjà publié sept livres et que je ne sais pas si j’ai vraiment besoin d’en publier sept de plus. J’ai bien un projet en tête : cela fait huit ans que j’en parle et que j’essaie de lui donner forme, et j’aurais sans doute dû travailler davantage dessus…
Enfant, aimiez-vous déjà le cinéma ? Oui, très tôt. Mes parents y allaient très souvent. Mais cet amour a également coïncidé avec une période de mutation profonde : les films ont changé, y aller durant cet âge d’or était un peu comme aller à un concert de rock. Mes parents avaient une vingtaine d’années à la fin des années 1960 et au début des années 1970, quand les films donnaient vraiment envie d’aller au cinéma. Ils m’ont emmené voir des films qui n’étaient pas de mon âge, mais l’époque était très permissive. C’était très di érent de maintenant, où les enfants de 10 ans ne voient plus que des films produits par Disney, Pixar ou Marvel. Et les fêtes ? Pensez-vous, comme avec les livres, que vous avez été au bout de cette vie-là ? En tout cas, j’aurais dû m’amuser beaucoup plus que je ne l’ai fait, mais je me suis toujours méfié de ce mode de vie, méfié aussi de la joie et du bonheur. En vieillissant, je me rends compte que ça a été une grave erreur. J’ai beaucoup profité de ma liberté, j’avais beaucoup d’amis, je travaillais sur mes livres, mais avec le recul je me rends compte que, pendant de longues périodes, je n’étais pas vraiment heureux. C’était le cas entre 20 et 30 ans, et aussi entre 30 et 40. Ma quarantaine a été absolument sinistre. Aujourd’hui, les choses ont beaucoup changé : l’idée que je puisse être triste ou déprimé, la peur de m’ennuyer me paraissent désormais ridicules. Vous souvenez-vous de la soirée la plus bizarre à laquelle il vous ait été donné d’assister ? J’en ai fréquenté de vraiment étranges. J’en ai même organisé quelques-unes chez moi quand j’habitais à Manhattan. En fait, je n’arrive pas à me souvenir de l’une en particulier : il y en a eu tellement. A l’époque, les éditeurs organisaient des soirées délirantes où ils dépensaient des fortunes
invraisemblables pour fêter la sortie de leurs livres. Ça appartient désormais au passé mais j’avais par exemple assisté à une fête pharaonique à l’occasion de la sortie d’un livre de mon ami Jay McInerney. C’était un condensé de tous les excès des années 1980 : la nourriture luxueuse en abondance, les stars de cinéma, la boîte de nuit réquisitionnée pour l’occasion. C’était la norme à la fin d’un siècle qui n’est plus le nôtre.