Porno anxieux
CANDIDE ET LUBRIQUE, PAR ADAM THIRLWELL, TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR NICOLAS RICHARD, L’OLIVIER, 400 P., 23 EUROS.
Ici, le principe est que ça digresse beaucoup. Le narrateur dit de lui-même : « Mon mode de fonctionnement, présentement, était la divagation. » La langue qu’il parle, comme on peut le voir, est légèrement tordue et ampoulée, comme s’il ne parlait pas sa langue maternelle. Sa parole est faite de phrases longues et erratiques, régulièrement éventrées par des incises bizarroïdes. Quand on fait connaissance avec lui, il se réveille à l’hôtel avec sa maîtresse (il trompe sa femme pour la première fois) et découvre qu’elle est en train de faire une overdose. Plutôt que d’appeler les secours, craignant que son épouse soit mise au courant, il entreprend de faire la chambre, de laver le sang et le vomi, de sortir la femme en catimini, de la jeter dans sa voiture pour la lâcher à moitié morte devant un hôpital. Petit à petit, on comprend que ce type est dérangé. Trentenaire, chômeur, vaguement riche, grand fumeur de « produits chimiques », il s’ennuie dans une banlieue neuve, une outre-ville colorée et rutilante comme on en trouve partout sur la planète, et juge que « la tâche la plus urgente, dans chaque mégalopole, [est] de déterminer comment faire usage de son temps ». Il décide de consacrer le sien à la fornication, mais ça ne lui réussit pas. Le roman devient une collection de coïts anxieux, racontés par ce post-adolescent confus et hypersensible, perturbé par les détails prosaïques et gluants de la vie charnelle, angoissé par des ruminations morales interminables sur l’adultère et le mensonge, s’e orçant de comprendre « pourquoi les contraintes sont si contraignantes ». L’auteur, Adam Thirlwell (photo), a 38 ans. Disciple autoproclamé de Kundera, il marche dans les pas du Tchèque, grand maître de la scène de sexe à visée philosophique. Il signe là un roman malin, imagé, très beau, qui évoque aussi « la Faim », de Knut Hamsun, cité en épigraphe : l’histoire d’un type a amé qui ne fait rien pour manger – autre roman divagant où le plus gros problème du narrateur, c’est le narrateur lui-même.