L'Obs

Quand le public boudait Salinger

Avant de devenir culte, “l’Attrape-Coeurs”, qui reparaît en poche, n’a pas eu, en France, le succès escompté. Récit

- DIDIER JACOB

L’ATTRAPE-COEURS, PAR J. D. SALINGER, TRADUIT PAR ANNIE SAUMONT, ROBERT LAFFONT PAVILLONS POCHE, 250 P., 6 EUROS.

Salinger, un flop ! Difficile d’imaginer aujourd’hui que l’oeuvre la plus célèbre de l’écrivain américain se soit à peine fait remarquer lors de sa sortie en France. C’est l’une des surprises que réserve le livret, offert en librairies, que publient les Editions Robert Laffont à l’occasion de la reprise du roman en « Pavillons Poche ». On y découvre ainsi la déception de Robert Laffont lui-même, qui déclarait alors : « J’avais pour “The Catcher in the Rye” de J. D. Salinger une passion que je croyais aisée à transmettr­e. Il n’en fut rien, et malgré tous mes efforts, “l’AttrapeCoe­urs” connut un insuccès total. L’auteur ne m’en tint pas grief. » Le même livre, publié aux Etats-Unis deux ans auparavant, en 1951, avait pourtant connu un succès immédiat. Deux mois après sa sortie, l’éditeur américain l’avait réimprimé huit fois. Comment le succès de Salinger va-t-il réussir à franchir le mur de l’Atlantique ? Son voeu de silence, alors qu’il s’installe dans sa propriété de Cornish dans le New Hampshire, va sans doute contribuer à forger sa légende. Mais c’est surtout grâce à l’engouement de quelques passeurs éclairés que son nom va commencer à circuler à Saint-Germain-des-Prés. Comme Olivier Todd, qui déclare en 1962 : « Lisez, relisez Salinger. […] Profitez-en aussi pour commander “l’Attrape-Coeurs” à votre libraire. Que, pour une fois, le public répare un peu une gaffe monumental­e des critiques. » De son côté, le redouté Robert Kanters tente une comparaiso­n hardie entre Salinger et Alain-Fournier, au prétexte que leurs deux livres, « l’AttrapeCoe­urs » comme « le Grand Meaulnes », s’attachent à décrire la vie adolescent­e comme une fuite et une errance.

La reparution du roman en poche permet de retrouver Holden Caulfield lors de sa virée à New York. Si vous relisez le livre, vous verrez que, comme Kerouac, Salinger ne vieillit pas. Eternelle jeunesse d’un auteur qui, dans une note rédigée spécialeme­nt pour l’édition française, il y a soixante ans, confiait justement : « Tous mes meilleurs amis sont des enfants. J’ai peine à supporter l’idée que mon livre sera rangé sur une étagère, loin de leur portée. »

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EN CHIFFRES Traduit dans le monde entier, le roman de Salinger (photo vers 1950) s’est vendu à plus d’un million d’exemplaire­s en France, et à plus de 60 millions dans le monde, où 250000 exemplaire­s sont achetés chaque année.

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