L'Obs

Diva Traoré

NÉ SO, PAR ROKIA TRAORÉ (NONESUCH)

- GRÉGOIRE LEMÉNAGER

Pour répandre un peu de douceur sur ce monde de brutes, on peut compter sur la belle Rokia Traoré. La chanteuse de « Beautiful Africa » n’est pas pour rien fille de diplomate. La pacificati­on des âmes est son métier, qu’elle pratique en glissant, avec un naturel qui se passe très bien d’interprète, du français à l’anglais et au bambara. C’est qu’elle a l’art de traverser les frontières sans oublier d’où elle vient, ni les victimes de la bêtise humaine : « En 2014, cinq millions cinq cent mille réfugiés », répète le mantra douloureux de « Né So », la chanson qui donne son titre à ce sixième album. « Né So » signifie « Chez moi ».

Chez Rokia Traoré, c’est d’abord le Mali, ce pays martyr qui donne si généreusem­ent ses leçons de musique au monde. Ne pas oublier que la diva de « Mouneïssa » fut, à ses débuts, parrainée par le grand Ali Farka Touré. Vingt ans plus tard, elle puise toujours dans le blues mandingue des boucles rythmiques subtilemen­t syncopées et des lignes de chant qui tournent comme des moulins à prières, pendant que le n’goni de Mamah Diabaté égrène ses arpèges avec la grâce d’un bâton de pluie. Mais rien de tout ça n’est là pour faire couleur locale. « Chez moi », semble murmurer « Né So », c’est surtout ce disque impeccable­ment enregistré à Bruxelles et Bristol avec un batteur burkinabé, un bassiste ivoirien et des choristes formés à Bamako, mais aussi Devendra Banhart, John Paul Jones à la mandoline et Stefano Pilia à la guitare. Le résultat oscille entre rock plaintif et folk-pop contemplat­ive, saupoudré de berceuses africaines (« Kolokani ») et de subliminau­x ri s funky (« Ilé », « Amour »). D’emblée, « Tu voles » a donné le mode d’emploi, et annoncé, malgré tout, l’ouverture d’une chasse au bonheur : « Le bonheur est une aptitude/Face à ce qui se passe et qui fait sou rir/Tu voles/Tu papillonne­s et tu tourbillon­nes. » Et même si le timbre de Rokia Traoré n’a pas la profondeur tragique de Billie Holiday (qui d’autre l’aura un jour ?), sa reprise de « Strange Fruit », ce glaçant requiem pour les victimes du racisme, confirme qu’elle fait bien d’aller voir ailleurs si elle y est chez elle. On l’écoute le coeur serré, puis, peu à peu, plus léger ; chez elle, c’est aussi chez nous.

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