Pourquoi l'orthographe nous rend fous
NOTRE DOSSIER SUR LE VRAI NIVEAU DES FRANÇAIS
La patrie en danger ! Pour la perte de quelques accents circonflexes, les beaux esprits ont crié au meurtre, à la décadence, au chef-d’œuvre en péril. Il a suffi que le JT de TF1, le 4 février, annonce que les éditeurs de livres scolaires allaient appliquer des modifications adoptées voilà vingt-six ans pour que la polémique prenne comme un feu de brousse. Les éditorialistes y sont allés de leurs couplets assassins. On s’est jeté à la tête les mots d’« illettrisme », d’« imbé-cillité » avec deux « l »… Toute la nation s’est enflam-mée. Dans le sondage commandé par « l’Obs » à Harris Interactive, 82% des Français estiment aujourd’hui que « la réforme de l’orthographe est une mauvaise chose ». L’affaire a pris un tour politique. A gauche on est plutôt pour, au FN, on est carrément contre. Pru-demment, Najat Vallaud-Belkacem, déjà fustigée par tous ceux qui critiquent les nouveaux programmes du collège et le recul du latin et du grec, a passé la balle à l’Académie française. La vénérable institution est opposée « à toute réforme de l’orthographe », lui a répondu la secrétaire perpétuelle Hélène Carrère d’Encausse, qui ne concède qu’un « accord condition-nel sur un nombre réduit de simplifications […] soumises à l’épreuve du temps ».
Tandis que l’opinion s’échauffe et que les gens de lettres débattent savamment de l’opportunité de conserver ou non la graphie oignon plutôt qu’ognon, les résultats de l’enquête Pisa 2012 de l’OCDE sur le niveau des élèves de 15 ans sont tombés le 10 février. Ils sont accablants. Le nombre de jeunes en décro-chage croît en France plus qu’ailleurs. 19% des élèves sont « peu performants » à l’écrit. Ils n’atteignent pas le seuil minimum de compétences pour vivre dans la société (la moyenne de l’OCDE est de 18%). Et cela empire. Cette proportion a augmenté de 4 points entre 2003 et 2012. On s’étripe pour quelques modifications orthographiques à la marge, alors que « le système scolaire prend l’eau », s’emporte Michel Lussault, le président du Conseil supérieur des Programmes, qui a signé les nouveaux programmes du primaire et du collège où l’orthographe rectifiée est proposée « en option » : on peut donc continuer à utiliser l’ancienne graphie. « Il y a une incapacité collective à aborder les vraies difficultés », martèle Michel Lussault.
Et l’orthographe en est une. Il ne s’agit pas de ces afféteries, nénufar plutôt que nénuphar – cette dernière graphie imposée d’ailleurs en 1935 quand on a cru par