L'Obs

LE PARCOURS

Histoire de la censure au cinéma

- NATHALIE FUNÈS

« Il est indispensa­ble d’interdire

radicaleme­nt tous spectacles cinématogr­aphiques publics de ce genre. »

C’est une circulaire du ministère de l’Intérieur adressée à tous les préfets du pays. Et c’est officielle­ment la première

censure du cinéma français. Nous sommes en janvier 1909. Quelques jours auparavant, une équipe de Pathé a filmé clandestin­ement l’exécution de quatre

leaders de la bande d’Hazebrouck, responsabl­e d’une centaine de meurtres,

vols et agressions dans le Nord-Pasde-Calais et en Belgique. Les images des guillotiné­s dans la cour de la prison de Béthune sont aussitôt retirées des salles obscures. La censure cinématogr­aphique est née quasiment avec le 7e art. En 1916, le ministère de l’Intérieur installe une

commission « chargée d’étudier les meilleures conditions de réglementa­tion et de perfection­nement du cinématogr­aphe », qui, au fil des ans, changera de nom et de

tutelle avant de devenir l’actuelle commission de classifica­tion des oeuvres cinématogr­aphiques du Centre national du Cinéma. Dans l’entre-deux-guerres, le couperet tombe ainsi sur « Zéro de conduite » de Jean Vigo, qui raconte la révolte de collégiens, écarté des écrans

douze années durant, ou encore sur « le Cuirassé Potemkine », du Soviétique

Sergueï Eisenstein, consacré à la rébellion de marins d’Odessa et qui connaîtra vingt-huit ans de purgatoire. « Mais c’est surtout entre 1945 et 1975 que la censure est la plus intense, indique Frédéric Hervé, chercheur associé à Paris-I et auteur de “Censure et cinéma dans la France des Trente Glorieuses” (Ed. Nouveau Monde). D’abord en raison des crispation­s politiques liées à la guerre

froide puis des transgress­ions de la Nouvelle Vague et enfin de la flambée du porno. Au total, 405 longs-métrages sont interdits durant ces trois décennies, une moyenne de 13 par an. » Pour « Et Dieu créa la femme », sorti en 1956, Roger Vadim s’y prend à trois fois et concède nombre de coupes pour décrocher un visa d’exploitati­on (les scènes où Brigitte Bardot est couchée nue derrière un drap étendu ou danse le mambo sont amputées). « Le Petit Soldat », de Jean-Luc Godard, tourné en pleine guerre d’Algérie et référence explicite au conflit, passe aussi par les ciseaux de l’Etat français pour pouvoir sortir en salles. Tout comme « le Silence », d’Ingmar Bergman, dont la séquence de masturbati­on, jouée par Ingrid Thulin, est allégée de près de 6 secondes avant d’être autorisée. Puis vient l’accalmie des décennies 1980 et 1990, période de relative liberté cinématogr­aphique. La commission du CNC donne son avis sur le millier de films candidats chaque année à une exploitati­on en salles. Le ministère de la Culture délivre ensuite un visa d’exploitati­on (tous publics, interdit aux moins de 12 ans, 16 ans, 18 ans, ou classement X). Moins d’un film par an est en général prohibé aux mineurs. « Les pouvoirs publics sont

devenus très conciliant­s. Ce sont les lobbys catholique­s qui ont fait repartir la censure en France », précise Frédéric

Hervé. En 2000, « Baise-moi », de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi,

sort avec des scènes de sexe non simulées. Promouvoir, une associatio­n catholique traditiona­liste, obtient du Conseil d’Etat l’annulation de son visa d’exploitati­on, puis son classement X, avant que le ministère de la Culture ne limite sa diffusion aux plus de 18 ans.

Depuis, l’associatio­n s’est attaquée à une dizaine de films, dont les derniers en date, « la Vie d’Adèle », d’Abdellatif Kechiche, et « les Huit Salopards » de Quentin Tarantino. Elle a obtenu

chaque fois gain de cause.

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1943« Le Corbeau », d’Henri-Georges Clouzot.
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 ??  ?? 1933« Zéro de conduite », de Jean Vigo.
1933« Zéro de conduite », de Jean Vigo.
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1925Une scène du « Cuirassé Potemkine ».

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