Cosse, l’a ront fait à Duflot
Elle était la protégée de Cécile Duflot. Emmanuelle Cosse a choisi de rompre brutalement : elle sera désormais dans un gouvernement que son ex-amie écolo combat. Une décision vécue comme une trahison
Cécile Duflot aime rappeler qu’elle a tout connu chez les Verts, même les scénarios les plus fous. Dans ce parti qu’elle a longtemps dirigé, on est habitué aux coups de théâtre et aux revirements. Dans le passé, deux anciens secrétaires nationaux (Jean-Luc Bennahmias et Yann Wehrling) ont rejoint François Bayrou, un excandidat à la présidentielle a été destitué en pleine campagne (Alain Lipietz) et une autre a chuté dans l’escalier d’un cinéma avant de chuter tout court
(Eva Joly). Mais, à 40 ans, l’ex-patronne d’EELV n’avait encore jamais été confrontée à cette figure acrobatique: l’actuelle secrétaire nationale de son parti (Emmanuelle Cosse) qui, malgré des troupes vent debout contre François Hollande, lâche en quelques heures le navire pour rejoindre le gouvernement! Pire, pour Cécile Duflot, l’auteur de ce forfait, qu’elle présentait comme son « amie », rejoint son pire ennemi, Manuel Valls. Pour pimenter encore plus l’affaire, Cosse hérite du ministère du Logement, où Duflot estime avoir laissé une grande loi, détricotée depuis. Difficile d’y voir autre chose qu’une « trahison », selon les mots de ses proches.
La veille encore du remaniement, l’ancienne patronne des Verts ne voulait pas y croire: en plein débat sur la déchéance de nationalité, « Emma » n’irait pas. N’avait-elle pas elle aussi clamé son désaccord? N’était-elle pas à ses côtés, quelques jours plus tôt, à La Bellevilloise, pour défendre une primaire à gauche ? Elle ne ferait pas le grand saut, elle ne se renierait pas. Méthode Coué? Duflot savait Cosse très tentée. Elle avait bien noté que la chef écolo s’était gardée de démentir les rumeurs comme l’avait fait Nicolas Hulot. En son for intérieur, elle avait acté une rupture politique. De son côté, Cosse s’était préparée à l’appel de François Hollande. Elle savait qu’elle serait accusée d’être « la Besson » des Verts. Comme un clin d’oeil, lors de la passation de pouvoir au ministère, la musique de « Star Wars » a jailli d’un téléphone portable dans l’assistance. Comment mieux signifier qu’aux yeux de ses anciens camarades elle passait du côté obscur de la Force ? Cosse mesurait la portée de son geste, l’affront fait à Duflot. Tant pis. « Autant il y avait entre elles une amitié, autant le désaccord sur le fond était profond », raconte un de ses intimes. L’une ne trouvait que de bonnes raisons à être partie du gouvernement, l’autre que des justifications pour y entrer.
«Cécile » et «Emma » avaient pourtant tout pour s’entendre. Des profils proches : même âge, même territoire, l’Ile-de-France, biberonnées toutes les deux à la gauche – les parents de Cosse étaient maoïstes, la mère de Duflot catho de gauche. Les deux femmes ont aussi en commun un style direct, pas du genre à jouer les grandes dames, à l’aise dans des milieux d’hommes. Elles se sont forgées aux combats de leur génération, la défense des sans-papiers, le 21 avril 2002. Dans ses jeunes années, l’activiste Cosse a même signé « Nous sommes la gauche », une tribune très critique contre la gauche de gouvernement. Avec un tel CV, elle ne pouvait que plaire aux Verts. Démarchée une première fois pour les municipales 2008 à Paris, l’ancienne présidente d’Act-Up et rédactrice en chef de la revue de la gauche radicale « Regards » saute le
Cosse s’était préparée à l’appel de Hollande. Elle savait qu’elle serait accusée d’être “la Besson” des Verts.
pas aux régionales 2010. Elle est l’une des recrues de la liste Duflot en Ile-de-France. La « firme », le surnom donné dans le parti à la bande Duflot-Placé, ne jure plus que par elle: «Emma est super.» A EELV, on s’amuse : « Maman » et « Papa », autre surnom du tandem dirigeant, ont adopté une fille un peu punk, allusion à la crête que Cosse a portée dans ses années lycée. Quand, après la victoire de Hollande en 2012, Duflot arrive au ministère du Logement rue de Varenne, Cosse est chargée du même sujet à la région Ile-de-France, à quelques centaines de mètres de là. Les deux ont des dossiers en commun et se parlent souvent. Cosse monte même un petit groupe de visiteurs du soir écolos pour la ministre. « Son soutien politique et personnel a beaucoup compté », écrira plus tard cette dernière dans son livre, «De l’intérieur». Lorsque les proches de Duflot et Placé poussent vers la sortie en 2013 le chef du parti, Pascal Durand, jugé trop incontrôlable, c’est tout naturellement qu’« Emma » prend la place avec leur bénédiction. La ministre dit alors sa confiance: «Elle écoute mes conseils. » Cosse et Duflot sont d’accord sur la ligne, participation au gouvernement mais soutien critique. Et lorsqu’il s’agit de s’émouvoir du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, elles sont encore et toujours à l’unisson.
Les différences vont s’affirmer peu à peu. Duflot est une affective, soucieuse de son lien avec ses militants, à tel point qu’elle se compare à un chien de berger gardant le troupeau. Cosse fait plus cavalier seul et donne moins dans l’affect. Plus la ministre rêve de recoller à ses troupes mal à l’aise avec le social-libéralisme hollandais, plus l’ex-activiste imagine ce qu’elle ferait avec de vrais leviers d’action depuis un ministère. « Cosse avait quitté ses années de gauchisme et de radicalité. La nana qui lançait du sang sur les ministres est devenue vice-présidente à la région. Elle a fait sa mue. Dans le même temps, Cécile était sur une trajectoire inverse, elle a vécu les désillusions du pouvoir de l’intérieur », raconte Stéphane Pocrain, conseiller de Duflot. Un proche de Cosse complète le portrait de sa patronne : « Elle n’est pas une idéologue. Elle a la culture du résultat. Elle ne comprend pas qu’on renonce à choper des victoires écolos d’ici à 2017. »
L’amorce de la rupture politique remonte à la sortie de Duflot du gouvernement. Le 31 mars 2014, au lendemain des municipales, la ministre verte du Logement envoie un communiqué pour acter son refus de participer à l’équipe Valls. A EELV, les partisans de la participation gouvernementale, mis devant le fait accompli, ne décolèrent pas. « A ce moment-là, Valls demande à recevoir les présidents de groupes parlementaires écolos et la chef du parti. Cécile Duflot essaie de les joindre un par un, la seule qui ne répond
pas et qui mettra trois heures à le faire, c’est Emma. Duflot a alors compris qu’elle ne l’avait plus dans sa main », raconte le député Sergio Coronado. Le lendemain, Cosse est reçue avec Placé, Rugy et Pompili par le nouveau Premier ministre qui veut sonder les écolos. Dans l’après-midi, au siège de la Chocolaterie, le bureau exécutif doit trancher: faut-il, oui ou non, négocier ? Les proches de la ministre démissionnaire votent contre. La secrétaire nationale, elle, s’abstient… « Elle m’a expliqué qu’il fallait partir du gouvernement », racontera ensuite Duflot.
Aux journées d’été suivantes, le rendez-vous annuel des écolos, la tension est palpable. Cosse, dont c’est le premier rendez-vous à la tête du parti, est éclipsée par Duflot et son livre-réquisitoire, «De l’intérieur». Dans les travées de la faculté de Bordeaux, Denis Baupin, député de Paris et compagnon de Cosse, fulmine encore contre la sortie du gouvernement : « On est nombreux à ne pas digérer cette décision prise à la va-vite. » La chef du parti joue les équilibristes, sauve les apparences et tente tant bien que mal de tenir les deux bouts.
Le 4 avril 2015, Cosse envoie toutefois un signal politique clair. Les écologistes pro-Hollande se comptent lors d’une journée organisée à l’Assemblée. C’est le «serment du jus de pomme». Cosse s’y rend, contre l’avis des proches de Duflot comme Marine Tondelier, qui lui lâche: «Emma, si tu vas à cette réunion, je n’ai plus confiance. » L’entourage de l’ex-ministre regrette de l’avoir propulsée à la tête d’EELV : « On a manqué de pif, on a déjà fait de meilleurs coups ! » Dès lors, l’éloignement s’installe. Même si le conflit n’éclate jamais au grand jour. « Trop à fleur de peau, elles ont fui le débat ou l’ont délégué à des intermédiaires», suppose un ami commun. Cosse s’affiche avec Valls en meeting pendant les départementales? Duflot commente auprès d’un écolo : «Que l’ex-présidente d’Act-Up qui a fait “Nous sommes la gauche” fasse l’accord avec Valls et Cazeneuve ! Elle manque de boussole dans sa tête. » Ce qui n’empêche pas la députée de Belleville d’assister en juin 2015 au mariage de la chef du parti avec Denis Baupin. Dans la mairie du 9e arrondissement où Anne Hidalgo préside la cérémonie, les responsables socialistes sont presque aussi nombreux que les écolos. Mais la mariée reste en vert, la couleur choisie pour le haut de sa tenue. Duflot, elle, s’amuse sur Twitter des chaussures rouges de sa copine…
Ces derniers mois, les proches de Duflot ne cachaient plus leur incompréhension. Un jour, Cosse fustige les départs de Placé, Rugy ou Pompili, qualifiés de «petites opérations personnelles». Mais un autre, elle répète qu’un retour d’EELV au gouvernement n’est « pas un tabou » et rencontre discrètement Hollande. Sans le dire, elle s’éloigne de son parti de plus en plus radicalisé contre les socialistes. Pour elle, l’opposition de gauche est une impasse. Un soir de dépit, alors que ses amis ont choisi contre son avis de faire alliance avec Mélenchon aux régionales en Nord-Pas-de-Calais-Picardie, elle lâche au téléphone : «Quelle est la perception des écolos? On est pris pour des branquignols. On passe constamment pour des tacticiens. On a rétréci en termes de militants. » Un de ses amis l’assure, « pour Emma, ne plus être secrétaire nationale n’est pas une perte, c’est un poids en moins ». Selon d’anciens camarades, Cosse aime surtout diriger mais se lasse vite: « Elle entre dans une organisation, veut en devenir chef et après elle se barre parce que ça ne l’intéresse plus. »
La voilà sur le banc des ministres, à défendre la politique d’un gouvernement que Cécile Duflot combattra depuis les gradins de l’Assemblée. Un proche l’imagine éclipser son ex-amie. « Emma, c’est une vraie chance pour l’avenir de l’écologie. Elle saura faire à son ministère, à la différence de Cécile, qui a pu braquer. Jusqu’ici elles n’étaient pas en compétition, mais la suite peut en décider autrement.» Les proches de Duflot espèrent, eux, que cette séquence douloureuse redorera le blason de leur championne – « elle était vue comme une politicienne, mais elle ne s’est pas vendue, elle » – et qu’elle encouragera l’animal blessé à se lancer pleinement dans la campagne présidentielle. Et au milieu, l’écolo gît ?