SOCIAL Les pistes pour réduire le chômage
Tous les deux ans, les partenaires sociaux renégocient les règles de l’assurance chômage. Les ratés du projet de loi El Khomri limitent l’ambition des discussions. Revue des mesures à envisager pour limiter le coût pour la collectivité
T rente-huit milliards d’euros. Voilà ce que coûtent chaque année en France les allocations d’assurance chômage. Faute de réussir à faire baisser le nombre de demandeurs d’emploi, les dépenses augmentent plus vite que les recettes et le déficit se creuse : 4,6 milliards d’euros en 2015. Année après année, la dette de l’Unedic fait boule de neige. Fin 2016, elle atteindra 29,4 milliards d’euros. Et les prévisions à deux ans sont des plus sombres.
« En l'absence d'e orts à court terme, la pérennité du régime pourrait être remise en cause. » Ainsi parlait la ministre du Travail Myriam El Khomri, en février, quelques jours avant l'ouverture des négociations entre partenaires sociaux sur la nouvelle convention sur l’assurance chômage. Leur objectif : redéfinir les conditions d’indemnisation des demandeurs d’emploi et les cotisations (4% du salaire brut pour l’employeur, 2,4% pour les salariés) pour faire un pas vers l'équilibre.
Géré à parité, le système est du ressort des organisations patronales (Medef, CGPME, UPA) et des syndicats de salariés (CFDT, CFE-CGC, CFTC, FO, CGT). O - ciellement, le gouvernement ne s'en mêle pas. Mais il suit les négociations de près car c'est lui qui garantit les emprunts de l'Unedic sur les marchés financiers et qui est responsable, vis-à-vis de Bruxelles, de la maîtrise du déficit. En cas de défaillance, il lui revient de prendre la main, le versement de l'allocation chômage concernant 2,64 millions de personnes sur les 5,77 millions de demandeurs d’emploi pris au sens large.
La ministre a prévenu : « toutes les pistes » doivent « être étudiées » . Plus de deux mois après le début des discussions, quelles cartes sont sur la table ? Que peuvent faire les partenaires sociaux pour enrayer les coûts de l’assurance et le chômage ?
L’ÉTAT AU SECOURS DES INTERMITTENTS
Attention sujet ultra-sensible. Les inter-
mittents du spectacle sont de retour. Ils l'ont fait savoir en occupant plusieurs théâtres, l'Odéon à Paris et ceux de Montpellier, Caen et Bordeaux…
En 2014, date de la dernière convention sur l’assurance chômage, alors que les festivals d’été étaient très perturbés, le gouvernement avait « sanctuarisé » leur régime ainsi que le déficit qui va avec. Ce dernier a atteint l'an dernier 997 millions d'euros, soit un quart du déficit total, pour… 100000 bénéficiaires environ. Afin de soulager l'Unedic*, l’Etat a compensé une partie du déficit en prenant à sa charge 80 millions d'euros de dépenses annuellement. Malgré cela, le déficit s’est creusé et représente toujours un quart du trou de l’Unedic. Aujourd'hui, le Medef demande un e ort de 105 millions aux intermittents et la reconduction de l’aide de 80 millions de l’Etat. A 80 millions, FO consentirait à dire « tope là », sans que l'Etat ne reconduise son aide. Pour Denis Gravouil, de la CGT, le syndicat majoritaire dans ce secteur, « il n'est pas question de faire des économies sur le dos des chômeurs. Qu’ils augmentent les cotisations des employeurs. »
IMPASSE En deux ans, le Premier ministre, Manuel Valls, n’a pas réussi à déminer le dossier et à mettre en place des solutions durables (en limitant les professions culturelles accessibles à ce régime ou en changeant les habitudes des employeurs qui pourraient pérenniser certains postes).
LE RETOUR DE LA DÉGRESSIVITÉ
Aujourd'hui, un demandeur d'emploi touche la totalité de ses allocations pendant 24 mois s’il a moins de 50 ans, et 36 mois au-delà. Pour l'inciter à chercher plus rapidement du travail, un système de dégressivité, en vigueur de 1986 à 2001, pourrait être rétabli.
C'est François Hollande qui a brisé le tabou. A l’occasion des voeux aux partenaires sociaux, début janvier, le président de la République a déploré que la France consacre beaucoup plus d’argent à indemniser les chômeurs qu’à les former. D’où la mise en oeuvre par étapes d’un plan de formation de 500 000 demandeurs d’emploi. Avec l’espoir qu’il apporte une réponse aux 450 000 o res d’emploi non pourvues, faute de personnel qualifié dans des secteurs comme l’hôtellerie-restauration ou encore l’aide à la personne. Myriam El Khomri a embrayé, évoquant une possible dégressivité des allocations chômage.
Le principe même d'une baisse graduelle des cotisations fait pourtant l'unanimité des syndicats contre lui. FO ne veut pas en entendre parler, jugeant le sujet enterré. « Pas complètement », s’inquiète Eric Aubin de la CGT.
« Il n'y a aucune chance que cela aboutisse dans la situation actuelle de l'emploi car ce serait renvoyer les chômeurs à plus de précarité », assure Véronique Descacq de la CFDT. Le Medef, lui, plaide pour une dégressivité « ciblée » pour les plus récalcitrants à retrouver un emploi. « On a un système des plus généreux et un des moins efficaces, donc il faut faire de la dégressivité afin que les modes d’indemnisation mis en oeuvre entraînent une modification des comportements », analyse son représentant Jean Cerutti. En précisant que « la dégressivité n'a pas une vertu universelle pour tous les demandeurs d'emploi. »
AVEUD'ÉCHEC Faute d’avoir réussi à faire reculer le chômage, on diminue les indemnités. Ponctuellement, cela peut avoir un impact : l'association Solidarités nouvelles face au Chômage, gérée par Christian Piketty, constate que l'approche de la fin de droits sert souvent de catalyseur. Mais le retour à l’emploi, précise-t-elle, dépend surtout de l’aide et de l’encadrement proposé aux « chercheurs d'emploi ». Une étude de l'Unedic portant sur 15 pays européens montre que les six pays qui pratiquent la dégressivité n’obtiennent pas forcément de meilleurs résultats.
SURTAXER LES CONTRATS COURTS
Le système existe déjà : les CDD d’usage et autres contrats de trois mois ou moins peuvent être taxés à hauteur de 5,5 à 7%. Les syndicats de salariés rêvent de le durcir et de mettre davantage les entreprises à contribution afin de les inciter à privilégier les contrats à durée indéterminée (CDI). FO est à fond pour. Mis en place lors de la dernière convention sur l’assurance chômage en 2014, ce dispositif n’a cependant pas porté ses fruits. Parce qu’il exclut l’intérim et les saisonniers, soutient la CGT qui a élaboré un nouveau barème de cotisations patronales. Un contrat de moins d’un mois se verrait taxer 12,40% et un de six mois 8,40%. Une proposition, lancée dès 2014 par la CFDT mais qui n'avait alors pas été retenue. « La surcotisation sur les contrats courts devrait faire baisser la précarité dont le coût est de 9 milliards d’euros pour l’assurance chômage », estime le cégétiste Eric Aubin, qui s’appuie sur des chiffres de l’Unedic. Davantage de CDI entraîneraient davantage de cotisations et moins d’indemnisations.
Pour tenter de calmer la grogne contre le projet de loi travail, le Premier ministre, Manuel Valls, a d’ores et déjà annoncé qu’une surtaxation serait ajoutée au texte controversé de Myriam El Khomri. Il a pris les partenaires sociaux de court et provoqué une levée de boucliers dans les rangs du patronat : « Il n’est pas question que la surtaxation des CDD nous soit imposée, tonne Pierre Gattaz, fort du soutien unanime de ses fédérations. Si c’est le cas, elle détruira de l’emploi. » Jean Cerutti, négociateur pour le Medef, confirme : « A ce stade, je n’ai aucun mandat du patronat pour évoquer la surtaxation des contrats courts. »
INSUFFISANT La taxation est une piste, mais certains syndicats et économistes, comme Pierre Cahuc, Corinne Prost ou Jean Tirole, plaident pour l’étude d’un système de bonus-malus qui modulerait la cotisation de l'entreprise en fonction de son recours aux contrats courts et de l’employabilité de ses salariés. Un système mis en place par le président Franklin D. Roosevelt dans les années 1930 aux Etats-Unis.
ENCADRER LE CUMUL ALLOCATION- SALAIRE
C’est ce cumul qui permet au régime de « permittents » (ces salariés qui travaillent en permanence en contrats courts) de s’installer. Le système d'indemnisation qui autorise, dans certains cas, de cumuler allocations chômage et salaires conduit parfois à des aberrations, car des personnes travaillant 60% du temps en arrivent à bénéficier de 100% d'indemnisation de chômage. Ce qui explique que les employeurs puissent imposer aussi facilement des contrats courts, comme les CDD d’usage. Actuellement, pour calculer l'allocation chômage d'une personne ayant travaillé quatre mois au cours des derniers 28 mois, on se base sur son salaire moyen mensuel. A l'avenir, l'indemnité journalière d'un demandeur d'emploi pourrait être calculée selon une moyenne annuelle.
Une note du Conseil d'Analyse économique de septembre 2015 intitulée « Améliorer l'assurance chômage pour limiter l'instabilité de l'emploi » estime que 760 000 personnes sont dans cette situation et chiffre à 4,8 milliards d'euros les dépenses annuelles nettes de l'Unedic pour ces allocataires, qui touchent en moyenne 6 300 euros d’indemnités par an.
INSUFFISANT Une réflexion plus large doit être ouverte sur les contrats d’usage (CDD qui peut être reconduit sans limitation et ne comporte pas nécessairement de date de fin de contrat, réservé à des secteurs comme l’hôtellerie-restauration, le BTP ou la restauration navale). Selon l’OCDE, en 2011, 35% des CDD en France avaient des contrats de moins de trois mois, contre 19% en Italie, 13% au Danemark et 4% en Allemagne.
LUTTER CONTRE LES PRÉRETRAITES DÉGUISÉES
Autre problème sur la table : la combinaison de l’indemnisation des plus de 50 ans pendant trois ans et de la rupture conventionnelle a fait exploser le nombre de personnes qui sortent de l’emploi aux alentours de 60 ans. Ce retour déguisé des préretraites pèse sur les comptes de l’Unedic. Les entreprises font ainsi porter sur l’assurance chômage le coût de leur restructuration.
MODEMINEUR Face à l’incapacité des entreprises et des partenaires sociaux à relancer l’emploi des seniors, ce sujet n'est pas au centre des discussions.
Pour redresser les comptes de l’Unedic, d’autres pistes sont à l’étude. Comme le statut des frontaliers. Ces derniers tra- vaillent en Suisse et échappent au règlement de l'Union européenne ou au Luxembourg et bénéficient d'une dérogation. Dans un cas comme dans l'autre, ils ne paient pas de cotisations sociales en France. Mais lorsqu'ils se retrouvent au chômage, c'est l'Unedic qui paie. Cette anomalie lui coûte 400 millions d'euros par an – 320 millions en Suisse et 80 millions au Luxembourg.
Un « assez gros chapitre », indique Jean Cerutti, sera par ailleurs consacré au rôle de l'Etat. Actionnaire d'entreprises publiques comme EDF et Pôle Emploi, il contribue pour une part infime – à hauteur de 1% sur la partie prime de leur salaire – à l'assurance chômage. Contre 6,4% pour un salarié du secteur privé. (* ) Unedic : Union nationale interprofessionnelle pour l'Emploi dans l'Industrie et le Commerce.