LES BONNES MANIÈRES
L’invasion barbaque
Images cauchemardesques tournées dans des abattoirs, mises en garde alarmistes de l’OMS sur le risque cancérogène et développement des régimes véganes, le steak n’a pas franchement bonne presse ces temps-ci. Pourtant, la tendance des viandes et des charcuteries d’exception, incarnée par des artisans d’élite, ne se dément pas. Moins, mais mieux : voilà l’équation qui explique ce paradoxe apparent. Premiers à représenter ces bouchers d’un nouveau genre : Hugo Desnoyer et Yves-Marie Le Bourdonnec. Dans les années 2000, le premier navigue entre sa boutique de la rue Boulard (Paris-14e) et les verts pâturages pour dénicher les meilleurs éleveurs. Très vite, le brun ténébreux fournit en entrecôtes de compète les palais de la République et les meilleurs chefs (Pierre Gagnaire, Yves Camdeborde), comme Catherine Deneuve et Laetitia Casta. Aujourd’hui, le boucher des stars, qui en est luimême devenu une, s’exporte à Tokyo et vient d’ouvrir un nouveau restaurant, dans la halle Secrétan rénovée (Paris-19e). Même recherche des plus belles bêtes (sa préférence va aux salers et aux angus) et mêmes débouchés sur les tables qui comptent (Yannick Alléno, le Beef Club, Blend) pour son alter ego basé, lui, à Asnières, au Couteau d’Argent. Mais la démarche se fait plus militante : Yves-Marie Le Bourdonnec expose sa carcasse nue dans un calendrier pour promouvoir le métier, fonde le mouvement I Love bidoche, soutient Jean-Luc Mélenchon à la prési- dentielle de 2012 et… fait des promos, le mercredi, sur le steak haché par souci de démocratisation. Avec Alexandre Polmard, la relève est assurée. Le benjamin de la troupe (26 ans), issu d’une lignée de bouchers de la Meuse depuis six générations, pousse jusqu’au bout la logique de la viande haut de gamme en présentant ses pièces de blonde d’Aquitaine telles des rivières de diamants dans sa boutique chic de Saint-Germain-des-Prés. Ses côtes de boeuf maturées grâce à un procédé exclusif d’« hibernation » sont aussi disponibles sur internet ou à New York.
Les charcutiers ne sont pas en reste, alors que les trancheuses rutilantes trônent sur les comptoirs les plus en vue. Originaire de Bayonne, Eric Ospital poursuit l’oeuvre familiale. Son père, Louis, a créé dans les années 1980 le label ibaïona, réservé aux jambons élaborés à partir de bêtes élevées sans OGM, ni farines animales ou antibiotiques. Les chefs s’arrachent son lepoa, une pièce exceptionnellement tendre qu’il a découverte dans le haut du cou du cochon. Emmanuel Chavassieux, lui, s’est spécialisé dans la saucisse chic en Haute-Loire. Ancien coutelier à Thiers, il la prépare au couteau, bien sûr, par opposition au tout-venant des chipolatas garnies de préparation mixée, et l’aromatise aux herbes. Quant à Gilles Vérot, né dans une famille de charcutiers stéphanois, il perpétue la tradition du pâté de tête ou de Houdan (volaille et pistache) rue NotreDame-des-Champs (Paris-6e) ou au Café de Flore. Et il a converti Londres et Manhattan à l’andouillette. So french.