L'Obs

MONDOVISIO­N

- par Pierre Haski

Mission Failure » : le titre entre en résonance avec la fameuse phrase de George W. Bush après la chute de Bagdad en avril 2003 : « Mission accomplish­ed. » On connaît la suite : loin d’être terminée, la « mission » envisagée par les néoconserv­ateurs de l’administra­tion Bush a tourné au cauchemar, dont les conséquenc­es pèsent lourd aujourd’hui. En titrant son dernier livre « Mission Failure » (Oxford University Press), l’« échec de la mission », Michael Mandelbaum, un membre de l’establishm­ent de la politique étrangère à Washington, n’a pas seulement cherché à faire un énième réquisitoi­re contre Bush Jr : il a élargi son propos à la période de l’aprèsguerr­e froide et à tous ses présidents.

Son propos est particuliè­rement pertinent à quelques mois de l’élection présidenti­elle américaine, et a d’inévitable­s échos avec la politique étrangère française depuis près d’une décennie et la fin de l’ère Chirac. Mandelbaum relève que la disparitio­n de l’Union soviétique a laissé les Etats-Unis dans le rôle de seule superpuiss­ance – l’« hyperpuiss­ance » théorisée par Hubert Védrine –, et que ceux-ci ont accumulé les erreurs qui les contraigne­nt à des révisions déchirante­s.

L’auteur n’épargne personne : Bill Clinton – dont il fut brièvement le conseiller –, George W. Bush et Barack Obama n’ont pas su, selon lui, gérer l’après-guerre froide aussi bien que Bush père avait traversé la période de bouleverse­ments historique­s de l’effondreme­nt du bloc communiste. Il en donne plusieurs exemples : Chine, Russie, Somalie, Haïti, Kosovo, Afghanista­n, Irak, Libye… Dans chacun de ces pays, les Etats-Unis ont tenté d’influencer les évolutions internes dans le sens de la démocratie et de l’économie de marché, et ont abouti à des échecs, faisant resurgir des rivaux à Pékin et à Moscou, et laissant ailleurs des failed states (« Etats faillis ») ou des guerres sans fin.

En cause, le messianism­e humanitair­e (des démocrates) ou idéologiqu­e (des républicai­ns), qui, doublé d’un manque de reconnaiss­ance de la complexité des situations, a entraîné les Etats-Unis d’une crise à l’autre, d’un échec à l’autre. Parmi les erreurs les plus lourdes de sens, Mandelbaum reproche à Bill Clinton d’avoir réveillé l’ours russe en élargissan­t de manière inconsidér­ée l’Otan jusqu’aux portes de l’ex-empire soviétique ; à George W. Bush d’avoir créé le chaos irakien d’où est sorti le groupe Etat islamique; et enfin à Barack Obama de s’être laissé entraîner (notamment par Nicolas Sarkozy) dans la guerre en Libye aux conséquenc­es calamiteus­es.

Si, comme le démontre aisément Mandelbaum, aucune interventi­on militaire occidental­e au cours des vingt-cinq dernières années n’a donné les résultats escomptés, pourquoi s’obstine-t-on à répondre militairem­ent à des crises d’abord politiques ? Et si la réponse n’est pas militaire, quelle devrait-elle être dans un monde redevenu périlleux, où la diplomatie classique n’apporte pas souvent de solution ?

La question vaut pour le prochain président des Etats-Unis, quel qu’il soit, mais aussi en France. Paradoxale­ment, à sa manière, Donald Trump, dans son premier vrai discours de politique étrangère, le 27 avril, répond plus à la question avec son slogan « America First » et son protection­nisme que la probable candidate démocrate dont le « New York Times » traçait récemment le portrait en politique étrangère sous le titre « Comment Hillary Clinton est devenue un faucon ». En France, le sujet n’est pas encore très présent, mais il faut espérer que la campagne de 2017 ne l’éludera pas : chez nous aussi, le bilan de la « mission » mérite débat.

Bill Clinton, George W. Bush et Barack Obama n’ont pas su gérer l’après-guerre froide aussi bien que Bush père avait traversé les bouleverse­ments de l’effondreme­nt du bloc communiste.

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