CE QUE VOUS RÉSERVE LA DROITE
Leurs programmes au banc d’essai
L’affiche a trente ans. Pile. A michemin d’« Amityville, la maison du diable » et des « Dents de la mer », elle se décline en plusieurs versions, éditées à l’approche des législatives de mars 1986. Sur l’une, on peut lire l’effroi dans le regard d’une ménagère qui brandit son balai comme pour se protéger d’une créature malfaisante. Dans une autre, la terreur s’imprime au fond des yeux d’un jeune homme effrayé par le danger qu’il voit fondre sur lui. Le monstre est hors champ. Le slogan le dévoile : « Au secours ! la droite revient. »
Sans doute est-ce parce que cette iconographie défaitiste était déjà délicieusement ringarde qu’elle n’a presque pas pris une ride. Car, trente ans après, tout indique la prochaine sortie sur nos écrans électoraux d’un remake de ce film catastrophe. A douze mois de l’échéance présidentielle, la victoire semble d’ores et déjà promise à la droite. Pas une seule enquête d’opinion ne laisse même à François Hollande l’espoir d’atteindre le second tour. Tous pronostiquent un duel final entre Marine Le Pen et le candidat du parti Les Républicains. Cet affrontement se solderait immanquablement par la victoire du second tant, face à la menace de l’extrême droite, les électeurs de gauche se précipitent massivement au secours de la droite, comme l’ont montré les récents succès de Xavier Bertrand et Christian Estrosi lors des régionales.
Se pencher sur les programmes des candidats à la primaire de la droite, c’est donc découvrir la potion que nous infligera le probable futur chef de l’Etat. Elle promet d’être amère. Prise en tenaille entre l’inflexion sociale-libérale du hollandisme à la sauce Macron et la montée en puissance d’une extrême droite xénophobe et souverainiste version Philippot, la droite se laisse aller à une périlleuse surenchère dans deux directions simultanées: l’une résolument ultralibérale sur le plan économique, l’autre franchement nationaliste et identitaire sur les sujets régaliens liés à la sécurité, l’immigration et l’islam. Dans les deux cas, un même moteur : un anti-hollandisme viscéral qui n’a rien à envier à l’antisarkozisme que pratiquaient les socialistes avant 2012. Du passé hollandais, faisons table rase ! C’est le mot d’ordre partagé par tous ceux qui postulent pour enfiler la casaque de la droite à la présidentielle. Rien ne trouve grâce à leurs yeux dans le bilan du quinquennat qui s’achève. En matière de coup de balai, François Fillon fait figure de grand nettoyeur. L’ancien Premier ministre fronce ses sourcils pompidoliens et prend des accents churchilliens pour clamer sa volonté inébranlable de « casser la baraque ». Bruno Le Maire n’est pas le dernier à promettre, lui aussi, du sang et des larmes, et veut en finir, par exemple, avec « un système administratif et fiscal devenu fou ». On jurerait qu’Alain Juppé a réenfilé ses bottes autoritaires de 1995 lorsqu’il annonce sa volonté de « simplifier drastiquement le Code du Travail » et d’instaurer « des déclics de confiance » propres à apaiser les humeurs des chefs d’entreprise. Quant à Nicolas Sarkozy, peu porté sur la nuance dès lors qu’il s’agit de faire oublier son propre bilan à l’Elysée, il
Ils flairent la victoire au bout de la primaire et rêvent d’une revanche éclatante. Du coup, Juppé, Sarkozy, Fillon, Le Maire et les autres font assaut de propositions chocs pour “tailler dans les dépenses publiques et flexibiliser” tout en s’employant à regagner l’électorat du Front national. Et si, au bout du compte, les prétendants de l’opposition s’apprêtaient à faire bien pire que François Hollande ? PAR RENAUD DÉLY
annonce carrément, en cas de come-back réussi, le dépôt dès juillet 2017 d’un projet de loi portant réduction de 100 milliards de dépenses publiques, diminution de 10% de l’impôt sur le revenu et suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Signe des temps, cette dernière mesure fait l’unanimité parmi les candidats à la primaire. Il y a trente ans, la suppression de l’impôt sur les grandes fortunes (IGF) faisait figure de chiffon rouge du programme de la défunte alliance RPR-UDF. La mesure trônait en tête du pot-pourri libéral concocté par cette droite qui batifolait dans l’herbe sous le slogan « Vivement demain ! ». Un vieux couple, Ronnie et Maggie (Reagan et Thatcher), imposait une telle empreinte libérale sur le cours des droites occidentales que les encore jeunes Alain Juppé et François Fillon jugeaient bon de gambader en bras de chemise, la cravate sur l’épaule, aux côtés de leur mentor de l’époque, Jacques Chirac. Sans doute n’ont-ils pas oublié que la mise en oeuvre de la suppression de l’IGF avait suscité dans l’opinion un tollé qui avait vite redonné des couleurs à la gauche. Un particularisme hexagonal, teinté de colbertisme, de croyance en l’Etat et d’optimisme festif à la mode SOS Racisme, condamnait l’hydre de la dérégulation et de la répression à l’échec: Edouard Balladur avait dû remballer ses « noyaux durs », Charles Pasqua, sa réforme du Code de la Nationalité, et Robert Pandraud, ses « voltigeurs ». Trente ans plus tard, changement de climat. Le fond de l’air effraie tant il a viré libéral, et sécuritaire. « Tout le corps social réclame un modèle méritocratique fondé sur le libre choix et la responsabilité », se félicite le politologue Dominique Reynié, qui se souvient des quolibets qu’il subissait en 2008 lorsqu’il définissait la Fondation pour l’Innovation politique (Fondapol), dont il venait de prendre les rênes, comme une « fondation libérale et européenne ».
Les temps ont changé, la gauche aussi, et lorsqu’ils entendent l’expression « dépense publique », les prétendants LR sortent désormais sans fard leur sécateur : 100 milliards de réductions pour Nicolas Sarkozy et Alain Juppé donc, mais carrément 110pour François Fillon, fidèle à son rôle, la mèche en plus, la moustache en moins, de « Monsieur Plus » de la cure d’austérité annoncée au pays, voire 130 milliards pour l’iconoclaste Hervé Mariton! Bruno Le Maire fait, lui, plutôt dans l’éradication du fonctionnaire, cette corporation qu’il est tellement fier d’avoir quittée qu’il entend supprimer un million de postes! Un exemple parmi d’autres de ce maximalisme réside dans le sort réservé à l’Aide médicale d’Etat (AME), délivrée aux étrangers sans ressources et sans papiers. En 2012, le candidat Sarkozy, pourtant élève assidu de la fort droitière école buissonnienne, du nom de son conseiller, le maurrassien Patrick Buisson, avait résisté aux assauts de JeanFrançois Copé, qui l’exhortait à supprimer l’AME. Au nom de la perpétuation d’une tradition humaniste, Nicolas Sarkozy s’était refusé à « remettre en cause cette générosité française ».
Quatre ans plus tard, ni l’ex-chef de l’Etat ni ses concurrents n’éprouvent d’états d’âme au moment de couper une dépense somme toute modeste pour la réserver aux seuls soins vitaux. C’est que si la France endure un chômage massif de 3 millions et demi de personnes, la droite, elle, cible un ennemi privilégié : l’assisté! Patrick Buisson a beau avoir été évincé depuis qu’il a été surpris écoutant aux portes de la sarkozie, magnétophone dans la poche, son influence perdure : c’est lui qui a sculpté les contours de cette « droite décomplexée » sans tabou ni pudeur dont il rêve de longue date. Son meilleur élève, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, ferraille contre le « cancer de l’assistanat ». Car en matière de chasse aux « assistés », l’ardeur n’attend pas le nombre des années : c’est le benjamin de la compétition, Bruno Le Maire, qui fait preuve de la plus grande ingéniosité en préconisant le contrôle des comptes bancaires des bénéficiaires du RSA qui s’élève, rappelons-le, à 524 euros par mois. Etrangement, le candidat du « renouveau » (« C’est Bruno ! ») se montre moins imaginatif pour lutter contre la fraude fiscale, qui coûte cinquante fois plus cher à l’Etat.
Cette « fuite en avant » libérale désespère le député (LR) des Yvelines Henri Guaino : « Tout le monde court après Macron et s’en remet aux mêmes solutionsqui échouent partout : tailler dans la dépense publique et flexibiliser. » L’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy est bien en peine de trouver parmi ces recettes quelques vestiges de l’archéologie du gaullisme social, qu’il vénère. Car ce qui frappe dans l’examen comparé des propositions des candidats à la primaire de la droite, c’est leur gémellité. Chez les deux favoris, Alain Juppé et Nicolas Sarkozy, elle est même revendiquée haut et fort, tant, de part et d’autre, on est convaincu que c’est sur la seule personnalité des deux champions que se fera la différence au fond des urnes de la primaire. Résultat, une doxa hégémonique, une sorte de « pensée unique » libérale qui ne laisse aucune place à l’imagination, et encore moins à la nouveauté, s’impose et tient lieu de débat à droite. Le directeur de la Fondation Jean-Jaurès, Gilles Finchelstein, souligne que le grave affaiblissement de la social-démocratie ne saurait « masquer la crise d’identité d’une droite qui, un peu partout en Europe, en Espagne comme en Italie, en Grande-Bretagne et même en Allemagne, ne va guère mieux ». Sous la poussée de la menace populiste et xénophobe, les conservateurs se réfugient dans une « politique de slogans », selon la formule d’un ténor de LR, primaire et stérile. Au risque de réveiller les mânes de « la droite la plus bête du monde », jadis chère à Guy Mollet, et si prompte à gâcher ses chances de succès.
C’est l’espoir de François Hollande, qui dissèque avec attention la surenchère radicale dans laquelle sombrent les prétendants à la primaire de la droite. Le chef de l’Etat s’est engouffré dans l’étroite brèche pour tenter de réévaluer le bilan de sa propre action aux yeux de son camp éclaté. Gouvernée par un esprit de revanche à l’encontre d’un président qu’elle a toujours sousestimé, et dont elle a parfois contesté la légitimité, la droite pourrait, par ses excès, l’aider à se réinstaller dans une posture rassembleuse propre à affronter cette ère de tempêtes. En 1988, deux ans après avoir hurlé « Au secours, la droite revient ! », les thuriféraires de François Mitterrand avaient entonné le refrain de « la France unie » pour perpétuer son règne à l’Elysée. Alors, ce vieux film, on se le repasse ?