“Monsieur le président, sauvez nos enfants !”
Echec scolaire, discriminations, radicalisation... L’appel des mères des quartiers
Ce sont souvent elles qui nous ont le plus marqués dans nos reportages post-attentats. Elles. Les mères. Elles qui ont le courage de parler, de dénoncer. Elles qui sur le terrain se démènent, tentent de réparer comme elles peuvent les mailles abîmées de notre société. Elles encore qui se battent pour que l’expression « lien social » ait encore un sens. Elles ne se connaissent pas, ne sont pas d’accord sur tout. Quel lien unit Latifa Ibn Ziaten, mère du militaire tué par Mohamed Merah, et Véronique Roy, mère de Quentin, djihadiste mort en Syrie, toutes deux signataires de l’appel ? Leur combat contre la radicalisation des jeunes. Latifa, Véronique, Nadia, Djamila et tant d’autres sont des militantes. Mais elles se sentent seules, pas assez soutenues, pas entendues. D’Aubervilliers à Sevran, en passant par Roubaix, nous sommes allés à leur rencontre pour leur donner la parole.
Mères en deuil
« Votre fils, il est parti en Syrie? Vous avez de ses nouvelles ?
– Pendant un an, on se contactait régulièrement sur Skype. Mais depuis décembre, rien. Je ne sais pas s’il est mort ou vivant. Vous, votre fille, elle s’appelait comment ? – Lola. Elle est morte au Bataclan. » Scène surréaliste que de voir Georges Salines, père orphelin depuis le 13 novembre, discuter ainsi avec une dizaine de « mères de djihadistes », comme on les appelle désormais. Des mères dont le fils est parti en Syrie, et y est parfois mort. L’échange a lieu lors d’un congrès, qui ressemble à un congrès quelconque, salle de conférences moderne et sans charme, badges à épingler, slides Powerpoint qui défilent… Sauf que, au Fate (Families Against Terrorism and Extremism), les intervenants qui défilent à la tribune ou qui sont assis dans la salle ont une parole bien plus forte que n’importe quel expert : ce sont des parents en deuil, directement frappés par Daech. Des parents, et surtout des mères. Une véritable internationale des mères, car elles viennent de partout. Canada, France, Scandinavie, Belgique… Leur diversité montre que Daech recrute dans toutes les couches sociales. Via Facebook, elles se parlent souvent, échangeant des conseils, des encouragements. Voilà Dominique Bons, qui a perdu son fils Nicolas en Syrie : un visage aigu aux yeux clairs, paysage sculpté par la douleur. Assise à côté de la blonde Dominique, catholique, la brune Saliha, musulmane : les deux femmes s’étreignent, jumelles de deuil. « On se connaît si bien maintenant. Le fils de Saliha est mort à quelques jours d’intervalle du mien. »
Ce qui les maintient debout aujourd’hui, toutes ces femmes ? Témoigner. Etre partie prenante de la lutte contre la radicalisation. Le réseau international Mother for School, qui agit aussi bien en Afrique qu’en Autriche, milite pour que les mères, au sein des écoles, fassent de la prévention contre l’embrigadement. Mother for School fait dialoguer des mères de victimes du terrorisme avec des mères de djihadistes, convaincu que les unes et les autres ont un rôle à jouer dans ce combat. La cohabitation ne coule pas de source. « Mère de djihadiste », ça se conjugue toujours avec la honte, la culpabilité à fleur de peau. Et quand Latifa Ibn Ziaten, mère du militaire tué par Mohamed Merah et invitée star du colloque, évoque à la tribune le « manque d’amour » qui expliquerait selon elle la dérive des terroristes, dans l’audience, ça grince. Dominique : « C’est n’importe quoi. On est quoi, alors, nous? Des mauvaises mères incapables d’aimer leurs enfants? » Mais peu importe. Une autre: « On n’est pas d’accord avec elle, mais on a toutes le même objectif: que les jeunes arrêtent de servir de chair à canon à Daech. »
En Belgique, les regroupements de mères de djihadistes ont pris un peu d’avance : « Parfois, la police nous a même envoyé des parents de dijhadistes, complètement désemparés », dit Géraldine, présidente d’un collectif belge. Ce qui stupéfie Dominique Bons, qui rame avec son association, Syrien ne bouge: « Je n’arrive même pas à avoir des contacts dans la région avec les familles concernées! Pareil pour aller faire de la prévention auprès des jeunes, dans les écoles. Je crois qu’on gêne. » Véronique Roy, de Sevran (Seine-SaintDenis), a perdu son fils Quentin, mort en Syrie en janvier. Cette cadre dans un groupe de presse se rappelle avoir remué ciel et terre dès les premiers indices de radicalisation de son fils. En vain. C’est elle qui a interpellé François Hollande dans l’émission « Des paroles et des actes ». Elle encore, qui, dans une lettre ouverte, dénonçait la politique du maire de Sevran, qu’elle accuse d’avoir laissé faire. « J’en veux terriblement aux élus. L’un des recruteurs était employé dans un collège. Nous réclamions depuis longtemps qu’il y ait plus de communication autour du numéro vert Stop Djihadisme. Il n’est sur le site de la mairie que depuis quelques mois. Pourquoi avoir été si lents ? »
Brigade des mamans
Aujourd’hui, Nadia Remadna ne porte pas son gilet estampillé « Brigade des mères ». « Quand j’ai lancé cette brigade, en 2014, je trouvais ça marrant, le gilet. Genre "brigade des stups", intervention spéciale en urgence. Parce que c’est finalement toujours ce qu’on fait sur le terrain! De l’urgence! » Nadia Remadna, de Sevran, est une militante dans l’âme, travailleuse sociale depuis toujours. Elle a vu les « quartiers sensibles » changer : « Avant, les mères avaient peur que leurs mômes soient délinquants. Maintenant, elles ont peur qu’ils deviennent des terroristes. » A Sevran, on en est à dix départs pour la Syrie. Une sinistre comptabilité qui la met en rage, Nadia. « Les élus sont coupables d’avoir laissé faire ! Pour glaner des voix, ils ont caressé les “barbus” dans le sens du poil. Mais, moi, je préférerais qu’ils construisent des écoles plutôt que des mosquées ! »
Un discours cash qui ne lui a pas amené que des amis. « Je suis féministe et laïque, d’origine algérienne. Depuis que je dis publiquement qu’il y a une emprise de la religion dans certains quartiers, je me fais insulter. On me traite d’islamophobe. Pour mes gamins, c’est difficile. Il y a une pression. Je vois des copains de mon fils qui débarquent à la maison et me font les gros yeux parce
que, dans la pizza, il y a des lardons et que c’est “haram”. Ils n’ont plus que ce motlà à la bouche, ce qui est halal, ce qui est “haram”. » Alors, tant pis pour les critiques, elle continue à s’activer, avec sa brigade, Nadia. Elle a déjà recruté dans ses rangs des mères de Clermont, Mâcon et Aubervilliers. Chacune répond désormais aux SOS des familles, donne un coup de main, trouve des contacts, dépanne, loge parfois en urgence des gamins paumés ou des femmes battues qui ne trouvent pas de foyer.
Aujourd’hui, une jeune femme d’Orléans l’a appelée, en larmes. Sa petite soeur, Nora (le prénom a été changé), 15 ans à peine, a fugué depuis un an. Drogue, prostitution et début de radicalisation : elle tient depuis peu d’étranges discours sur l’islam. « Les policiers nous ont dit de faire une croix sur elle. Pour eux, elle est fichue », dit la grande soeur. La mère ? Gravement malade, elle ne sait plus que faire pour récupérer sa benjamine. Aujourd’hui, Nora a promis de venir voir sa soeur à Paris. « Si seulement je pouvais la convaincre, elle va pas venir, c’est sûr », pleure l’aînée. Une heure de retard. Mais voilà Nora. Sa soeur l’enlace, en larmes. Dans la brasserie, Nora s’assied, du bout des fesses. Elle ne tient pas en place. Son téléphone sonne, insistant et têtu. Une voix d’homme au bout. Comme si la jeune fille était surveillée à distance.
Le discours de Nora est confus. Elle se vante de sa dernière « gardav » (garde à vue), où elle a donné de faux papiers pour que les policiers ne voient pas qu’elle est mineure, dit être hébergée par un « pote » qui va «lui apprendre l’arabe», assure qu’elle doit rentrer lui « faire la cuisine »… Revenir dans sa famille? « Plutôt crever ! » La petite va à nouveau s’évanouir dans la nature. Nadia a prévenu un de ses « contacts » de la situation. Il a appelé la police. Le camion débarque très vite. Intervention musclée. Nora se débat, mord. Les policiers l’embarquent. Son sac est resté sur le banc. A l’intérieur, une abaya, cette longue tunique-voile « Elle l’a retirée pour son rendez-vous avec sa soeur », soupire Nadia. Au bout d’une heure, les policiers veulent jeter l’éponge. Pour eux, Nora est une mineure en fugue, c’est tout. Bref, une fois qu’ils l’auront remise à la famille, leur boulot est terminé. La drogue, la prostitution, la radicalisation, ce n’est pas leur affaire. Panique chez la soeur de Nora: « Elle s’enfuit à chaque fois ! » Au bout d’un après-midi de coups de fil à des travailleurs sociaux, des juges pour enfants, Nadia obtient que Nora soit transférée à l’hôpital, puis à un juge pour enfants, qui la placera dans un centre fermé. « Il faut la protéger d’elle-même, cette gamine. Si t’as de l’argent, oui, il y a des institutions spécialisées, des maisons. Et sinon…» Demain, Nadia ira accompagner des jeunes qui comparaissent au tribunal de Bobigny, la routine. « C’est comme vider la mer avec une cuillère. Mais si on est plusieurs à s’y mettre, ça marchera, peut-être ? »
Paroles de femmes libres
Elles se sont retrouvées au café culturel Le Bouillon, derrière l’église d’Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis: Djamila, la cinquantaine pimpante, blouson de cuir et immenses boucles d’oreilles, militante FCPE, Nadia, trentenaire, dont la robe souligne un joli ventre de femme enceinte, Fatima, la soixantaine, militante depuis toujours, qui habite dans le quartier Landy, connu pour être « difficile »… Ce samedi matin, elles sont face à nous, journalistes, impatientes de saisir l’occasion de nous interpeller. Puisque, de l’avis de toutes : « les médias ne nous entendent jamais ». C’est Djamila qui a choisi le café :
« Il est bien, non ? C’est le seul endroit où tu peux prendre un café tranquille. Dans tous les autres cafés, à Aubervilliers, il n’y a que des hommes.
Nadia – Ah, oui, moi je ne vais jamais dans les autres cafés ! Tu te sens mal tout de suite !
Djamila – C’est quand même pas normal qu’on doive passer le périphérique pour boire une bière sans se faire juger… »
Elles sont toutes mères. Ou le seront bientôt. Nadia désigne son ventre, en souriant.
« Celui-là, je me saignerais les veines pour qu’il aille dans le privé. Moi, je fais du soutien scolaire. Ça m’effraie, ce que je vois. Les gamins, ils partent en vrille. »
Cris d’horreur de Fatima et Djamila. Leurs enfants à elles ont tous fait leur scolarité dans le public.
Djamila – « Je te dis pas que c’est tout rose, hein! Mais les profs font du mieux qu’ils peuvent… C’est vrai que j’ai vu ce qui se passait ailleurs, dans les quartiers plus bourgeois : mes filles ont été inscrites un an au lycée de Saint-Maur-des-Fossés, tu sais ? Chez leur père… [Ils ont divorcé, NDLR]. J’ai halluciné! J’avais l’impression d’être sur une autre planète. Aux réunions de parents, c’était plein à craquer !
Fatima – Alors qu’ici, parfois, c’est difficile de faire venir les parents. C’est comme s’ils se sentaient illégitimes à l’école. Mais tes filles sont revenues à Aubervilliers, pourtant ?
Djamila – Oui, finalement. Elles s’y sentaient mieux. Elles ne voulaient pas être éternellement vues comme “les filles du 9-3”. Ils les prenaient de haut, les gens de Saint-Maur… Je me souviens de cette mère qui, à la première réunion, s’était plainte du transfert d’élèves du 93 qui allaient faire
“Les médias ne nous entendent jamais.”
baisser le niveau ! Alors que ma Katia était première de la classe ! »
Les enfants de Djamila et Fatima sont grands, désormais. Elles le disent: le quartier « a changé ». Djamila a entendu parler du petit Z, parti en Syrie. Nadia: « Je t’ai raconté le petit de 6 ans qui refusait de m’écouter parce que j’étais une mécréante qui n’obéissait pas bien à Dieu ? Moi, je suis musulmane, pourtant! Et je suis sûre que je connais bien mieux le Coran que son père, qui lui farcit la tête! On a vu pourtant ce qu’ils nous ont fait, les islamistes en Algérie ! »
Concert d’approbations. Elles sont toutes d’origine algérienne, autour de la table. Djamila, née en France, Fatima, qui se rappelle encore l’Algérie coloniale, mais a fait sa vie ici, Nadia, arrivée il y a quinze ans pour ses études. Aucune ne porte le voile.
Djamila : « Quand mes filles m’ont annoncé qu’elles allaient se voiler, ça m’a fait bizarre. Leur père, lui, il ne supporte pas. »
Nadia aussi tient à sa chevelure découverte. A Aubervilliers, elle a toujours continué à porter des jupes. « Un jour, dans un bus, un homme m’a insultée en arabe, me traitant de Satan. Des “Allahou akbar” ont fusé. Le chauffeur a eu peur et m’a fait descendre. Si j’ai une fille, je ne veux pas qu’elle vive ça ! »
Combattante du “bled”
Avec son sourire contagieux et son énergie débordante, Karima Ghiat est une figure de l’Epeule, ce quartier de Roubaix que ses habitants appellent « le bled » : boucheries et supermarchés halal, kebabs, boutiques religieuses, bars à chicha et, devant la pharmacie, une dizaine d’ados qui dealent jour et nuit à ciel ouvert. Fille de parents algériens, cette chômeuse de 48ans au RSA, née à Tourcoing, généreuse et engagée, porte à bout de bras l’association Melissa. Installée dans l’ancienne MJC fermée faute de subventions, cette épicerie solidaire est devenue le lieu de paroles des mères. Autour de la cafetière, on parle de drogue, de délinquance, de visites au parloir… « Avant, ces femmes n’avaient personne à qui se confier, aucun endroit pour échanger. Beaucoup s’enfermaient dans le déni, prétendant que tout allait bien. Il y a tellement de honte en elles, explique Karima. Quoi qu’il arrive, elles se sentent coupables. » Toutes ont un fils passé par la case prison ou qui a au moins un casier judiciaire. Elle regrette que leurs enfants soient ensuite marqués au fer rouge. « Ce sont encore des adolescents. Ils font des bêtises. Il faudrait pouvoir les aider à se relever. Et c’est à ce moment-là qu’on les perd. » Les éducateurs de rue ? Inutiles, selon elles : « Ils finissent souvent par basculer dans la délinquance. » Mieux vaudrait former des mères : « Nous, au moins, les jeunes nous respectent. On fait de notre mieux, mais on se sent très seules. Il faudrait nous aider à les aider. » Karima en veut à ceux « qui ont créé ce ghetto, d’où les jeunes ne sortent jamais. On n’attribue jamais de HLM aux Blancs, ici. Mais quand une famille de Maghrébins demande, c’est toujours dans ce genre de quartier qu’elle se retrouve. » Elle refuse cependant la victimisation. Elle houspille les mères « qui ne parlent pas assez à leurs enfants », les pères « qui ont carrément disparu ». « Beaucoup trop de parents ont démissionné; on dirait qu’ils ont peur de leurs enfants, dit-elle. Quand vous voyez votre fils revenir avec des Nike à 100 euros alors que vous lui en avez donné 10, ne fermez pas les yeux », répète-t-elle. Les jeunes, elle les connaît tous. Eux aussi en prennent pour leur grade: « Ils disent qu’ils sont discriminés. Je leur réponds: “Regardez comment vous êtes habillés, comment vous vous présentez ! Quel patron va vouloir de vous?” » Selon elles, il faudrait moins les assister et davantage les responsabiliser. Comme toutes les mères, ici, elle a peur de la radicalisation de ses enfants. « Pourquoi l’Etat ne surveille pas plus toutes ces mosquées à deux francs, pour savoir ce qu’il s’y dit?» Karima surveille les tenues, les prières trop fréquentes, se rassure en voyant ses fils boire des bières. Elle dit qu’elle leur a quand même confisqué leurs passeports, « par précaution ».
La sagesse de Latifa
« Bonjour madame ! » Dans la cour du collège Jean-Giono, à Nice, les adolescents agitent les mains: ils ont reconnu Latifa Ibn Ziaten, mère d’Imad Ibn Ziaten, le militaire tué par Mohamed Merah, devenue une icône. Cette mère de cinq enfants, qui vit à Rouen et est arrivée en France à 17ans – « Je ne savais ni écrire, ni lire, ni parler français! » –, sillonne aujourd’hui l’Hexagone, intervenant auprès de collèges, de maisons de quartier et de prisons. C’est la quatrième fois qu’elle vient à Nice, où plusieurs jeunes sont partis en Syrie. « Un de nos gamins est parti là-bas il y a deux ans, explique Mme Charron, le proviseur. Il continue à dialoguer sur Facebook avec l’un de nos élèves. Ils sont très influençables à cet âge-là. D’où l’importance pour eux d’écouter des personnes comme elle. Nous, personnels de l’éducation, nous avons d’ailleurs eu une formation de sensibilisation à la radicalisation. »
La rencontre a lieu tout près du collège, dans la salle de spectacle de la MJC. Sur l’estrade, Latifa Ibn Ziaten se tient toute droite, habillée en noir, avec ce voile discret qu’elle porte en signe de deuil. Dans l’assistance, qui comporte pourtant près de 150 gamins, on entend les mouches voler. Sous protection permanente, elle raconte les menaces qu’elle subit, provenant aussi bien de certains « Français de souche », qui ne supportent pas qu’elle s’exprime, parce que voilée, que de musulmans radicaux : « J’en ai croisé, des jeunes qui me disaient : “on ne critique pas Merah, c’est un martyr, un héros”. Et ça fait mal. » Identité, voile, radicalisation via internet : Latifa n’évite aucun sujet. « Alors, il y a des Français dans la salle?» lance-t-elle, en souriant, comme une provoc. Des « oui » timides, des « non » plus sonores. « Mais vous êtes nés en France, donc vous êtes français! Il ne faut pas avoir honte de le dire ! Il faut être fier d’être français. C’est ça, votre identité. La religion, c’est privé, c’est pas une identité. Sur internet, il y en a qui vont tenter de vous séduire, en colportant de faux discours sur la religion. Ils vous disent : “on va s’occuper de toi, tu es exclu, tu es discriminé”. Je comprends que certains jeunes aient ce sentiment. Je vois bien le regard qu’on me jette, à cause de mon voile, quand j’ai un gros sac sur moi, c’est si rapide les amalgames. » Et de raconter comment elle en a rattrapé plusieurs, de ces jeunes qui voulaient partir en Syrie. Ou cette discussion en prison avec un détenu, revenu du djihad. « Au début, il était fermé, agressif. » Au bout d’un certain temps, le jeune homme a demandé de lui parler en tête-à-tête. Au parloir, il a craqué. « Il m’a dit: "Tata, j’ai vu des choses horribles là-bas.” Là, je savais que j’avais ouvert une brèche. Je continue à le suivre. »
Son voile ? Elle en parle aussi, regardant droit dans les yeux une toute jeune fille, qui, au début de la séance, arborait son hidjab, interdit à l’école : elle l’avait remis sur le chemin conduisant à la salle de la MJC. Le proviseur l’a tancée, elle l’a ôté. La scène n’a pas échappé à Latifa Ibn Ziaten. « Je porte mon voile parce que je suis en deuil. Mais si je travaillais, je l’ôterais. Quand j’étais employée dans les écoles, je ne l’ai jamais porté! On doit respecter les valeurs de la République. C’est comme ça qu’on pourra vivre ensemble. » Parfois, sa voix se brise au souvenir d’Imad. Les larmes coulent. « Vous voyez, c’était en 2012, mais c’est comme hier, et, à chaque attentat, après “Charlie Hebdo”, après le 13 novembre, ça revient aussi fort. Je continue à m’interroger : pourquoi notre société continue-t-elle de fabriquer des Mohamed Merah ? » Dans la salle aussi, on entend des adolescents renifler, les yeux sont rouges. Une jeune fille se lève : « Est-ce qu’on peut faire une minute de silence pour votre fils et les autres victimes? » Silence impressionnant dans la salle. On est loin des provocations qu’il a pu y avoir après « Charlie Hebdo » au collège, comme cet élève de sixième qui avait lancé un Allahou akbar, pour « rigoler ». A la fin de la session, les enfants se précipitent sur scène pour l’enlacer, réclamer des selfies. « On y va ! » rappelle le « staff » de la star. Demain, Latifa Ibn Ziaten va prêcher la bonne parole à Nancy, devant des lycéens.
“Nous, les jeunes nous respectent.”