Il y a 100 ans, les accords Sykes-Picot
Ils ont façonné le Moyen-Orient. Et condamné la région à une guerre certaine
Les frontières établies par les accords Sykes-Picot ont-elles représenté la malédiction du Moyen-Orient? Comment expliquer l’obsession de Daech à leur endroit et pourquoi, lorsqu’ils ont traversé la frontière entre l’Irak et la Syrie en juin 2014, les soldats de l’Etat islamique ont-ils déclaré fièrement vouloir « effacer la frontière Sykes-Picot des cartes du Moyen-Orient ? » Cent ans après ces accords, la région, aujourd’hui à feu et à sang, paie les conséquences de tracés imposés par des chancelleries soucieuses à l’époque de préserver leurs intérêts. Le partage entre Français et Britanniques de cette vaste zone qui s’étend de la rive orientale de la Méditerranée à la Perse ne s’est pas fait en une journée. Il est le résultat de tractations secrètes de 1914 à 1920 dans un contexte de jeux d’alliances régionales et de guerre mondiale. Le 16 mai 1916, en pleine guerre mondiale, le Français François GeorgesPicot et le Britannique Mark Sykes négocient un accord qui organise le démantèlement futur de l’Empire ottoman, qui vient d’entrer en guerre aux côtés de l’Allemagne, et le partage du monde arabe. Les Français se réservent la Syrie, le Liban et la région de Mossoul et les Anglais, le reste de la Mésopotamie et la Transjordanie. La promesse d’un vaste royaume arabe Pour obtenir le soutien des Hachémites en vue de combattre les Ottomans, les Anglais entament des négociations avec le chérif de La Mecque Hussein, qui gouverne la péninsule Arabique, sous domination ottomane. Pour le convaincre de se soulever, ils lui promettent, mi-1915, de créer un vaste royaume arabe. Menés par son fils Fayçal, épaulés par un officier britannique du nom de Thomas Edward Lawrence – Lawrence d’Arabie –, les Arabes attaquent les troupes turques. Le partage du pétrole Ils ne se doutent pas que, dans leur dos, Français et Britanniques mènent d’autres tractations sur le sort de cette région à l’importance stratégique accrue : avec l’avènement de la guerre moderne, le pétrole a pris une importance décisive. Après des mois de négociations, sir Mark Sykes et François Georges-Picot fixent les limites entre les zones d’administration des deux futures puissances mandataires – une première esquisse de la carte définitive. La promesse d’un foyer national juif Car les Britanniques vont faire une autre promesse. En 1917, le ministre des Affaires étrangères lord Balfour assure à la fédération sioniste qu’un foyer national juif sera créé après la guerre en Palestine. La vente à la découpe se poursuit sans aucune consultation locale, même si les nationalismes s’expriment dès la fin de la guerre, en 1918. La création d’une Grande Syrie La conférence de San Remo de 1920 vient ainsi parachever les accords Sykes-Picot et la trahison de la parole donnée au chérif Hussein : les Français créent une Grande Syrie de laquelle ils amputent un petit territoire attribué aux chrétiens de la région, le Liban. Et peu importe que pour la viabilité de celui-ci, les plaines à majorité musulmane y soient incluses. Irak, Transjordanie et Etat kurde… éphémère Quant aux Britanniques, ils octroient en lots de consolation aux fils de Hussein les Etats qu’ils créent au sud et à l’est. A Fayçal, l’Irak, conçu grâce à l’agrégation de provinces chiite, sunnite et kurde. A Abdallah, la Transjordanie. Les Kurdes qui obtiennent un Etat avec le traité de Sèvres en 1920 s’en voient rapidement privés par le sursaut nationaliste turc mené par un jeune officier, Mustafa Kemal. La Palestine, elle, reste morcelée entre les puissances française et anglaise. La région est déjà prête pour une prochaine implosion.